Question Parlementaire adressée à la Ministre de la Justice en commission Justice du 26 février 2025.

Madame la Ministre,

A l’occasion de la visite des prisons par l’ensemble des bâtonniers du Royaume, le 10 décembre dernier, le conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a adopté une résolution qui “appelle les autorités à réviser drastiquement la politique pénitentiaire en Belgique dans le but de réduire la surpopulation carcérale, d’améliorer les conditions de détention, de repenser les alternatives à l’incarcération, de favoriser la réinsertion des détenus afin de protéger au mieux la société.” 

https://barreaubruxelles.be/actions-projets/r%C3%A9solution-du-10-d%C3%A9cembre-2024 

Il souligne que la stratégie du tout à la prison ne permet pas de lutter contre la criminalité, elle coûte cher à l’Etat et génère de la récidive. 

Il rappelle les nombreuses condamnations de l’État belge, tant au niveau national qu’international, pour les conditions de détention considérées comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Manifestement, les négociateurs de l’accord Arizona n’ont pas reçu cette résolution. Les mesures proposées vont toutes dans le sens d’une aggravation de la situation. 

  • Madame la Ministre, ce portefeuille ministériel n’est vraiment pas un cadeau. Comment allez-vous mettre en œuvre cet accord de majorité axé sur la répression, tout en agissant contre la surpopulation carcérale? 
  • Une évaluation de la réforme du code pénal effectuée par le gouvernement Vivaldi, et initiée par le Ministre Geens, est-elle prévue? 
  • Quelle concertation avec les acteurs de terrain prévoyez-vous de mettre en place ? 

Réponse de la Ministre 

Le problème de la surpopulation dans nos prisons ne pourra pas se régler à coups de slogans ou de déclarations matamoresques. Je vais toutefois m’efforcer d’améliorer la situation, par respect pour toutes les personnes qui doivent y travailler et y vivre. Toutes les peines d’emprisonnement doivent être exécutées, je suis d’accord sur ce point là. 

Si nous établissons certaines peines dans le Code pénal et que des juges les prononcent, nous devons les exécuter. Dans le nouveau Code pénal, qui entrera en vigueur au printemps de 2026, nous ne considérons toutefois plus la peine d’emprisonnement comme l’unique solution. À l’instar des pays qui nous entourent, nous devons examiner comment nous pouvons réprimer des délits par des peines alternatives. 

Lors de mon entrée en fonctions en tant que ministre, j’ai observé de grandes différences entre la théorie et la pratique. Les lois entrées en vigueur sous la précédente législature sont en fait la logique même, mais dans la pratique, nous constatons que de nombreux condamnés ne sont, en définitive, pas convoqués en vue de leur détention, en raison d’un manque de places.

Bien entendu, nous devons remédier à la surpopulation carcérale, mais le fait de ne plus convoquer les condamnés ou l’usage abusif du congé pénitentiaire prolongé ne constituent pas les moyens appropriés à cette fin. C’est pourquoi nous avons réuni l’ensemble des acteurs le 21 février: non seulement les cours et tribunaux, le SPF Justice, le ministère public et la direction de l’administration pénitentiaire, mais également les cabinets et administrations des communautés. 

Dans ce cadre, nous avons discuté, à l’aide d’un document de travail confidentiel, d’une série de propositions susceptibles de contribuer à supprimer les solutions illégales utilisées actuellement pour lutter contre la surpopulation carcérale. Je déplore que le document de travail ait fuité dans la presse. Les responsables de cette fuite veulent-ils vraiment trouver une solution ou préfèrent-ils mettre des bâtons dans les roues du processus décisionnel? L’information publiée à ce sujet portait sur un aspect spécifique, à savoir l’exécution des courtes peines.

Notre objectif est de sortir de l’illégalité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, à savoir une situation où 2 500 à 3 000 condamnés ne sont pas appelés à rejoindre la prison. Lors de la réunion, chacun était conscient des différentes causes du problème actuel. J’ai pour mission à présent de discuter des mesures possibles avec les organes politiques fédéraux avant de prendre des décisions définitives. C’est pourquoi le document en question était confidentiel. Il est encore prématuré aujourd’hui de communiquer à ce sujet, aucune proposition définitive n’étant encore à l’ordre du jour.

Afin d’éviter tout malentendu, je tiens à souligner que j’ai la ferme ambition de mettre l’accent sur l’exécution effective des peines et sur un suivi adéquat. Toute personne frappée d’une peine ou d’une mesure devra en ressentir les effets dans un délai acceptable. C’est ainsi que nous parviendrons à réduire l’impunité et à renforcer la sécurité. Les décisions prises au cours de la législature précédente ont toutefois conduit aujourd’hui à l’impunité pour les peines de courte durée de trois ans maximum. Il faut que cela change.

Au cours de la législature précédente, n’avait été prise aucune initiative comme celle que nous prenons aujourd’hui et qui débouche sur un grand nombre de places supplémentaires en détention. Une prison a ouvert ses portes, mais elle était déjà en chantier depuis longtemps. Une procédure d’attribution a également été lancée pour la commande de modules, mais cela ne veut pas dire que l’infrastructure est déjà disponible. C’est pourquoi nous devons concevoir une série d’autres mesures à brève échéance. Il est écrit dans l’accord de gouvernement que nous souhaitons recourir à des infrastructures à l’étranger, mais ce projet ne sera pas non plus réalisé à brève échéance.

Les nombreux efforts de tous les acteurs de la chaîne pénale ne doivent évidemment pas mener à une impunité, comme c’est le cas actuellement pour de nombreux condamnés à de courtes peines. J’attire votre attention sur le fait que cette mesure ne s’appliquera pas à tous les condamnés à une courte peine. La situation actuelle est également inacceptable pour les victimes et menace la sécurité publique. Pour parvenir à une solution, nous devons collaborer avec la Santé publique, l’Asile et la Migration, l’Intérieur, la Fonction publique, la Défense, les Affaires étrangères, la Régie des Bâtiments et les entités fédérées. Il est frustrant de constater que la demande d’un congé pénitentiaire prolongé est préférée à la sollicitation du TAP, qui fixe des conditions ou des modalités. En outre, certaines décisions relatives au congé pénitentiaire prolongé vont même à l’encontre des modalités du TAP.

Les prisons peuvent accueillir 11 040 personnes, mais hier, 12 840 personnes y séjournaient, dont 178 doivent dormir à même le sol. Sans la mesure du congé pénitentiaire prolongé, les prisons accueilleraient 704 personnes supplémentaires. Ce taux de surpopulation a un impact sur les conditions de travail des nombreux membres du personnel pénitentiaire, y compris au niveau de la discipline. La Belgique a déjà été condamnée à plusieurs reprises pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), avec des astreintes journalières par détenu en surnombre ou des astreintes pour chaque constat de traitement inhumain et dégradant.

Les instructions temporaires données par le précédent ministre de la Justice étaient chaque fois valables pour une durée de quinze jours. La dernière instruction était d’application jusqu’au 4 février 2025. Par nécessité, j’ai dû la prolonger à partir du 5 février. Cependant, l’instruction ne s’applique plus aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement comprise entre trois et cinq ans. Les mesures ne s’appliquent pas non plus aux personnes condamnées pour des faits de violence graves, des violences intrafamiliales, des délits de mœurs et des infractions terroristes, ni dans les dossiers où la personne condamnée représenterait un danger immédiat pour la société ou les victimes.

Dans le Code pénal qui entrera en vigueur le 8 avril 2026, la peine d’emprisonnement ne pourra être prononcée qu’en ultime recours. Parmi les objectifs à prendre en compte lors du choix de la peine, figurent la réhabilitation et la réinsertion sociale de l’auteur. L’accent est mis sur les sanctions autonomes, qui peuvent être prononcées en alternative à l’emprisonnement. Le nouveau Code supprime les courtes peines d’emprisonnement pour les infractions les moins graves. Le législateur envoie au juge pénal un signal clair, qui permet d’espérer une réduction du recours à la détention et de la surpopulation carcérale.