Question orale posée à la Ministre Verlinden le 21 octobre 2025. Lien vers le compte rendu complet de la Comission

Ma question : 

Madame la Ministre,

Il y a quelques mois, je vous ai interrogée sur la piste étudiée par le Gouvernement de louer ou de construire des centres de détention à l’étranger, notamment en Albanie ou au Kosovo, suivant l’exemple du Danemark. Vous aviez précisé qu’une analyse juridique menée par le CGRA devait en évaluer la faisabilité et les garanties en matière de droits humains.

Depuis, vous avez rencontré Mme Koçiu, ministre de l’Intérieur albanaise, avec votre collègue en charge de la Migration, afin d’évoquer une « coopération renforcée » dans le domaine de la justice et de la gestion carcérale. Tout cela laisse penser que les discussions ont progressé, mais aucune information n’a été communiquée sur l’état d’avancement de l’analyse promise.

Je réitère mes profondes inquiétudes. Le Mécanisme national de prévention des mauvais traitements a d’ailleurs alerté sur les risques de violations des droits fondamentaux. Que dire alors d’un transfert vers le Kosovo ou l’Albanie, où les standards pénitentiaires et les garanties juridiques ne sont pas comparables à ceux en vigueur dans l’UE ?

Dès lors, Madame la Ministre, je souhaiterais vous adresser plusieurs questions :

  • Quelles ont été les conclusions de votre visite au Kosovo ?
  • Où en est l’analyse juridique conduite par le CGRA ? A-t-elle été finalisée, et le cas échéant, quelles en sont les principales conclusions concernant la compatibilité d’un tel projet avec les obligations internationales de la Belgique, notamment au regard de la Convention européenne des droits de l’homme ?
  • Quels critères précis guident le choix du Kosovo comme partenaire potentiel ? En particulier, comment la Belgique entend-elle garantir le respect effectif des droits fondamentaux des détenus dans un État non membre de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe ?
  • Enfin, pouvez-vous nous préciser le calendrier envisagé et les éventuelles implications budgétaires de ce projet, puisque comme nous le savons, la Belgique peine déjà a financer correctement son propre système carcéral ?

Je vous remercie.

La réponse de la Ministre : 

Sur un total de plus de 13 300 détenus, la moitié a une nationalité étrangère et un sur trois séjourne illégalement dans notre pays. C’est insoutenable. C’est aussi une priorité pour ce gouvernement de s’attaquer à cette situation.

Avec mon collègue Van Bossuyt, je travaille sur des solutions concrètes pour la problématique des détenus sans titre de séjour dans nos prisons, ainsi que sur la suroccupation carcérale.

Via des transferts intermédiaires, des détenus d’une autre nationalité et qui ne résident pas légalement dans notre pays, peuvent être transférés vers leur pays d’origine après leur condamnation définitive ou avant la fin de leur peine privative de liberté. Si le pays d’origine accepte de reprendre ses ressortissants, le transfert peut avoir lieu sans que le détenu doive donner son accord.

Ce transfert intermédiaire relève de ma compétence et ne doit pas être confondu avec une libération provisoire en vue d’un éloignement. Cette dernière est en effet une modalité d’exécution de la peine, gérée par le Service public fédéral Justice, dans laquelle le condamné est mis en liberté sous conditions dans l’attente de son départ du pays. La décision d’éloignement relève de la compétence d’Asile et Migration.

La mission au Kosovo et en Albanie, débutée en octobre dernier, revêt une importance stratégique. Après une préparation diplomatique de plusieurs mois, cette mission a eu pour objectif principal d’examiner la possibilité d’utiliser les capacités de détention existantes dans les Balkans, en collaboration dans la lutte contre la criminalité organisée et la réinsertion des détenus.

En Albanie, nous comptons actuellement 307 détenus dans nos prisons, dont 253 sans titre de séjour. Soixante-treize d’entre eux ont été définitivement condamnés à une peine de plus de trois ans. Ils entrent donc en ligne de compte pour un transfert vers l’Albanie afin d’y purger leur peine.

Le transfert de ces personnes peut contribuer à réduire la pression sur nos établissements pénitentiaires. Malgré le cadre juridique international, aucun transfert vers l’Albanie n’a encore eu lieu à ce jour. J’ai discuté de cette question avec la ministre albanaise de la Justice, et nous avons convenu de continuer à collaborer activement sur le dossier des transferts des détenus albanais.

Avec le Kosovo, les premiers entretiens ont eu lieu sur la possibilité d’accueillir des détenus étrangers sans titre de séjour afin d’y purger leur peine. Nous avons également convenu d’un nouvel accord de coopération bilatéral sur la réforme judiciaire, et le ministre kosovar de la Justice a exprimé son ambition européenne. Nous examinerons ensemble comment la Belgique peut soutenir ces efforts de réforme judiciaire, et de nouvelles discussions gouvernementales suivront avant toute étape concrète.

La mission a permis d’ouvrir des discussions importantes, tant avec le Kosovo qu’avec l’Albanie. Le dialogue est en cours, et les premières étapes concrètes de coopération peuvent être engagées.

Le rapport indique que tout accord futur respectera les normes européennes et internationales en matière de transfèrement de détenus, à savoir que les personnes condamnées ne pourront être transférées qu’à condition que leurs droits soient garantis, notamment au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.

Concernant la coopération avec le Kosovo et l’Albanie, il est précisé que les détenus concernés doivent avoir été condamnés à une peine définitive de plus de trois ans, et que leur retour doit être accompagné d’un suivi dans des conditions dignes. Les négociations incluront des paramètres tels que les normes de détention, les calendriers et les critères de pays.

J’ai également évoqué cette question avec mon collègue danois lors du Conseil informel Justice et Affaires intérieures en juillet, à Copenhague, où j’ai pu échanger avec la présidence danoise sur leur expérience. Les échanges ont été instructifs : le Danemark fait face, lui aussi, à une forte pression carcérale, et a développé une approche bilatérale utile, même si elle suscite aussi des défis. Nous en tirerons des leçons utiles.

Enfin, il existe déjà des accords internationaux pour le transfèrement de personnes condamnées entre la Belgique et l’Albanie ou le Kosovo. L’accord bilatéral avec l’Albanie date du 18 juin 2015, et celui avec le Kosovo du 18 juin 2016. Ces accords concernent uniquement le transfert de personnes condamnées.

Ces accords permettent à une personne de nationalité kosovare ou albanaise, qui a été condamnée définitivement en Belgique, de purger sa peine dans son pays d’origine. En revanche, le projet évoqué vise à transférer également des personnes en séjour illégal avant la fin de leur peine, si les conditions sont remplies, dans le respect du droit international et des droits fondamentaux.

Ma réplique  : 

Merci, madame la ministre, pour votre réponse. Je sais que vous ne décidez pas seule dans ce dossier. Vous faites partie d’une coalition. Vous travaillez sur ce dossier, comme vous le dites, avec M. Van Bossuyt de la N-VA. Mais ici, je dois vous dire qu’on nage en plein délire.

Le défi de la surpopulation carcérale, il exige des solutions structurelles. Il faut sortir du show, il faut garder la tête froide et avancer pour que les prisonniers ne dorment plus à même le sol dans nos prisons. C’est cela qui fait l’urgence !

Aujourd’hui, de quoi nous parlez-vous : de réduire la surpopulation carcérale d’aujourd’hui, là, maintenant, en construisant des prisons au Kosovo ? Allons, on voit d’autres pays — vous parlez de transferts vers d’autres pays — qui souhaitent s’engager dans le même projet. Le Japon s’est engagé dans le projet danois, déjà à plus de 260 millions d’euros injectés. Dans ce type de projet, vous parlez de 200 millions d’euros qui sont déjà engagés dans le projet d’une prison au Kosovo sans que la première pierre ne soit encore construite ! Comment peut-on engager les futurs gouvernements belges, mais aussi du Kosovo – le Kosovo est-il la poubelle de l’Europe ? Est-ce là le signal que vous envoyez à la population kosovare ? Les habitants de là-bas n’ont rien fait pour mériter cela non plus. Comment traite-t-on les autres populations ?

Je trouve cela intolérable que vous engagiez la Belgique dans ce chemin qui ne respecte en aucun cas les droits humains – vous n’avez amené aucune garantie en la matière – et qui va conditionner notre capacité à mettre en place des vraies solutions structurelles qui sortent de ce délire. Aujourd’hui, cela veut dire consacrer ces moyens à faire de la réinsertion, à faire de la prévention et à travailler sur des alternatives à la détention. C’est la seule manière de s’en sortir, madame la ministre.