Question orale posée à la Ministre Verlinden le 21 octobre 2025. Lien vers le compte rendu complet de la Comission
Ma question :
Madame la ministre, la situation dans les prisons est effectivement catastrophique, on ne cesse de le dire. Aujourd’hui, nous parvenons à un sommet encore jamais atteint. Lorsque j’ai déposé ma question le 8 octobre, 353 personnes dormaient à même le sol dans nos prisons. Il y a cinq jours, c’étaient 430 personnes, et M. Ribaudo vient d’annoncer le chiffre de 486 personnes aujourd’hui. La situation s’emballe complètement, nous battons des records historiques. Jamais le seuil de 300 personnes dormant sur un matelas au sol n’avait été dépassé.
Partout, les directeurs et les agents pénitentiaires décrivent une situation devenue intenable et inhumaine : trois personnes dans 9 m², du personnel épuisé, et chaque jour la crainte d’un nouvel incident.
Le 2 octobre, une grève nationale avait paralysé l’ensemble des prisons et, depuis lors, les travailleurs et travailleuses des prisons ont également rejoint la grande grève nationale du 14 octobre et ont marché parmi celles et ceux qui ont été méprisés par certains membres de votre gouvernement, qualifiés de manifestants professionnels qui ne comprendraient pas vraiment.
Je sais que vous vous êtes battue pour les mettre en place, mais les mesures d’urgence sont clairement totalement insuffisantes.
Madame la ministre, quel bilan tirez-vous de ces mesures ? Quelles actions immédiates et concrètes comptez-vous mettre en place ? Les directions proposent différentes solutions, par exemple la régulation carcérale, libérer deux détenus pour chaque nouvelle incarcération et un recours aux peines alternatives. Êtes-vous prête à envisager ce type de solutions ? Êtes-vous soutenue par le ministre de la Justice par d’autres ministres du gouvernement ? Les moyens structurels font toujours défaut. N’est-ce pas le prix des limites d’une politique centrée sur l’incarcération ? Ne faudrait-il pas redéfinir la manière dont la justice va prévenir, sanctionner et à terme réduire véritablement le nombre de détenus ?
Réponse de la ministre :
Chers collègues, je ne nie évidemment pas la problématique de la surpopulation carcérale à propos de laquelle les directeurs des établissements pénitentiaires ont encore récemment lancé un cri d’alarme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ce problème n’est pas nouveau, mais il s’est progressivement aggravé au fil des décennies.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi relative au statut juridique externe et de son exécution tardive par les juges d’application des peines, la situation s’est toutefois rapidement et fortement détériorée. Malgré tous les efforts entrepris depuis lors, force est de constater que, si l’on est encore loin de retourner au pic des années 1990, le nombre croissant d’internés dans les prisons, qui n’ont aucun statut pénal, pèse lourdement. Ce blocage dans l’établissement du traitement médico-légal qui leur a été attribué après la décision de placement.
Afin de soulager la situation la plus pressante, une loi d’urgence contenant un certain nombre de mesures prioritaires a été adoptée par le Parlement et promulguée le 19 juillet dernier. Les premières étapes de cette loi d’urgence montrent déjà des effets positifs, même si la surpopulation reste problématique dans certaines prisons. Environ 200 détenus sont ainsi concernés. Sur les 80 premiers dossiers déjà analysés, plus de 40 juges d’application des peines ont prononcé des décisions entraînant une libération ou une interruption de peine, souvent dans le cadre d’un juge d’application des peines.
Ces effets positifs sont toutefois annulés par l’arrêt de plusieurs procédures pénitentiaires, à savoir tant du congé pénitentiaire prolongé que la suspension des peines jusqu’à trois ans. La suggestion de peines mixtes et de solutions combinées doivent également refléter la loi d’urgence.
En tant que ministre, il ne m’appartient pas non plus de m’exprimer sur des points tels que l’origine d’une augmentation du flux entrant dans le système pénitentiaire. Mais il est clair que trop de détenus dépendent à la fois de l’octroi trop limité des congés de peine et des retards des modalités d’exécution des peines telles que la surveillance électronique, la détention limitée ou la libération conditionnelle.
Un État de droit se doit de respecter et d’exécuter ses propres décisions judiciaires. Comme je l’ai déjà dit, s’il existait des solutions simples, elles auraient déjà été mises en œuvre.
Les avis du Conseil de politique pénitentiaire et d’autres instances de contrôle et de supervision, comme le Conseil central de surveillance, me sont bien entendu connus. Ils ont raison de souligner que la mise en œuvre de certaines dispositions de la loi sur les prisons laisse à désirer. Cela a déjà été dit en septembre, mais je tiens aussi à souligner que la politique d’exécution des peines et d’évaluation, que nous suivons, peut également contenir des mesures allant dans cette direction. Au printemps 2026, je recevrai de cette commission les éléments nécessaires à l’évaluation.
Je pars du principe que le principe d’égalité entre l’intérieur et l’extérieur des murs reste applicable. Ce principe n’est pas seulement inscrit dans le droit pénal, mais aussi dans la phase d’exécution des peines. En outre, par arrêté ministériel du 24 juillet 2024, j’ai créé une cellule indépendante chargée du suivi des recommandations et de la mise en place d’un suivi à long terme, afin d’éviter que, indépendamment de la crise actuelle, nous revenions d’ici 2028 au niveau actuel de récidive et de croissance du nombre de détenus.
Je transmettrai à la commission l’état d’avancement de l’exécution ainsi que les recommandations à court terme sur les problématiques de la détention préventive et de l’exécution des peines. Nous abordons la crise à court terme avec des mesures urgentes et un suivi quotidien des chiffres, mais nous devons également réfléchir de manière structurelle à l’ensemble de la chaîne pénale.
Ma réplique :
Madame la ministre, merci pour les réponses.
J’entends que vos mesures de l’été ont eu les effets escomptés. Néanmoins, ces mesures étaient provisoires et elles sont aujourd’hui terminées.
On n’en sort pas. Il y a un recours beaucoup trop systématique à la détention préventive. Il faut sans doute faire en sorte qu’il y ait davantage de sensibilisation de la magistrature au fait que l’incarcération doit être le dernier recours et que d’autres pistes doivent être absolument explorées.
Nous en parlions encore ce matin avec votre collègue Mme Van Bossuyt, au sujet du voyage au Kosovo. Elle prétend que nous pourrions résoudre les problèmes de surpopulation carcérale avec la construction d’une prison au Kosovo, qui va coûter des centaines de millions d’euros et ne voir le jour que dans plusieurs années. Ce sont des solutions totalement farfelues.
Aujourd’hui, il est indispensable de financer des alternatives crédibles et de travailler à la prévention. C’est la seule manière de s’en sortir. Il faut arrêter avec l’inflation pénale. Il faut arrêter avec l’augmentation des peines. On n’a même pas encore vu les effets de la réforme du Code pénal que certains, dans votre majorité, souhaiteraient déjà réformer le Code pénal pour encore augmenter les peines. Où va-t-on? C’est complètement irréaliste.
Mon groupe propose de désigner un commissaire royal qui se chargerait d’élaborer une approche globale au problème de la surpopulation carcérale dans les prisons. Les experts et la magistrature estiment que cela pourrait être une solution. J’espère donc, madame la ministre, que vous pourrez envisager cette solution dans le cadre de votre accord au sein de la majorité. J’espère par ailleurs que, dans l’atterrissage du budget qui est en cours, des solutions pour respecter la dignité des prisonniers et la dignité des travailleurs pourront être trouvées.