Question orale posée à Annelies Verlinden, ministre de la Justice, le 12 novembre 2025. Lien vers le compte rendu complet de la Commission.
Ma question :
Madame la ministre, l’Institut fédéral des droits humains consacre une large partie de son rapport 2025 à la dégradation structurelle de l’État de droit en Belgique, en particulier dans le domaine de la justice. Trois points, qui relèvent de vos compétences, méritent une attention prioritaire: la non-exécution des décisions de justice, l’arriéré judiciaire et le sous-financement chronique du système judiciaire.
En ce qui concerne le premier point, le rapport constate que « la non-exécution des décisions de justice par les autorités est, en Belgique, un problème sérieux (…) touchant aux principes fondamentaux de l’État de droit ». L’IFDH rappelle qu’en dépit de plus de 10 000 jugements ordonnant à l’État fédéral de garantir un accueil digne aux demandeurs d’asile, ces décisions ne sont toujours pas respectées. Il souligne que ce manquement mine la séparation des pouvoirs et sape la confiance des citoyens dans les institutions. 59 % des belges interrogés ont déclaré être d’accord avec l’affirmation selon laquelle « il est fréquent que les instances publiques et les décideurs politiques ne respectent pas les décisions de justice et ne les mettent pas en oeuvre. »
Dès lors, mes questions sont les suivantes:
- Quels enseignements le Gouvernement entend-il tirer de ce rapport afin de corriger les graves manquements qu’il révèle?
- Quelles mesures votre ministère compte-t-il prendre pour garantir que les jugements rendus contre l’État belge soient effectivement exécutés dans des délais raisonnables?
- Envisagez-vous d’instaurer des sanctions ou des mécanismes de suivi lorsque l’administration ne respecte pas un jugement exécutoire et/ ou persiste à ne pas le respecter?
- Enfin, le rapport de l’IFDH recommande d’inscrire dans la loi des garanties concernant l’état de droit et les droits humains. Envisagez-vous de légiférer en ce sens?
Sur le deuxième point, l’IFDH relève que « la durée excessive de certaines procédures judiciaires est, depuis des années, un problème structurel ». En 2023, la Belgique a même été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme parce que les recours destinés à indemniser les victimes de procédures trop longues étaient eux-mêmes excessivement lents. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a exhorté la Belgique à dresser une cartographie complète de l’arriéré judiciaire et à doter les juridictions les plus surchargées de moyens supplémentaires.
Le rapport dénonce un « manque chronique de moyens » au sein de la justice belge. La Belgique consacre seulement 0,22 % de son PIB à la justice, contre une médiane européenne de 0,28 %. Ce sous-financement se traduit concrètement par des palais de justice délabrés, des greffiers manquants, des interprètes impayés et des dossiers judiciaires détruits faute d’entretien des archives. L’IFDH estime que ce manque de ressources « mine les fondements mêmes de l’État de droit ».
Ces constats appellent des réponses politiques claires et structurelles de la part de votre gouvernement, tant en matière de respect de l’autorité judiciaire que d’accès effectif à une justice indépendante, efficace et correctement financée.
Voici mes questions:
- Où en est la réalisation de cette cartographie de l’arriéré judiciaire?
- Quelles actions concrètes ont été entreprises pour réduire les délais de traitement des affaires civiles et pénales, en particulier dans les juridictions les plus engorgées?
- La réforme du Collège des cours et tribunaux pourrait-elle prévoir une analyse différenciée des délais selon les arrondissements, afin de cibler les moyens là où les besoins sont les plus urgents?
- Quelles demandes avez-vous formulées dans le cadre des négociations budgétaires 2026 pour renforcer les moyens humains et matériels de la justice?
- Garantissez-vous que ces moyens accrus ne soient pas conditionnés à des critères de performance définis par l’exécutif, afin de préserver l’indépendance du pouvoir judiciaire?
La réponse de la ministre :
e renvoie tout d’abord à la réponse donnée à une question similaire posée par M. De Smet lors de la séance plénière du 16 octobre 2025.
Le FIRM (Institut fédéral des droits humains), en tant qu’institution publique indépendante, est particulièrement important pour la protection et la promotion des droits fondamentaux en Belgique.
Les recommandations de l’Institut seront examinées avec soin et certaines d’entre elles correspondent aux recommandations figurant dans le chapitre consacré à la Belgique dans le rapport 2025 de la Commission sur l’État de droit.
Une réflexion sera menée sur les possibilités pratiques de mettre en œuvre les recommandations relatives à la Justice. Pour de nombreux points, des projets sont déjà en cours. C’est le cas, par exemple, pour la résorption de l’arriéré judiciaire, la transposition de la directive anti-SLAPP et la surpopulation carcérale.
Concernant l’arriéré judiciaire, des actions concrètes sont entreprises et mises en œuvre par divers acteurs dans plusieurs domaines, dont :
– le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges,
– la numérisation de la justice,
– la revalorisation de la fonction de magistrat et des fonctions associées à la bonne administration de la justice,
– ainsi que le recrutement de magistrats et de personnel de soutien.
Enfin, les sanctions ne me semblent pas appropriées pour l’administration. La question n’est pas tant de renforcer les sanctions, les mécanismes de suivi ou les garanties concernant l’État de droit. La difficulté réside plutôt dans l’allocation et la mise en œuvre des moyens nécessaires au respect des jugements rendus contre l’État dans un délai raisonnable, ce à quoi nous travaillons quotidiennement.
La réflexion menée au sein de mon administration en vue d’accélérer les procédures judiciaires, civiles et pénales, et ainsi de lutter contre l’arriéré judiciaire, se poursuit activement. Elle est alimentée par les propositions du terrain et l’intention est ensuite de travailler avec un groupe d’experts. Il s’agit d’un travail de longue haleine et, outre les mesures déjà identifiées dans l’accord de gouvernement, il n’est pas encore possible à ce stade de dresser une liste exhaustive des mesures envisageables.

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