Cette question a été adressée au Ministre de la Mobilité, Jean-Luc Crucke, lors de la commission Énergie, Environnement et Climat du 12 mars 2025. Le compte-rendu complet est disponible ici.
Monsieur le Ministre,
L’accord de gouvernement confirme l’objectif dans le contrat de service public de la SNCB d’acheter 50% de nouveaux trains, ce qui doit correspondre à l’objectif d’accessibilité, de ponctualité et de diminution du nombre de trains supprimés. Pour ce faire, un premier marché public a été lancé dans le courant de la législature passée avec pour objectif de disposer du nouveau matériel à l’horizon 2030.
Dans le cadre de la procédure, le CA de la SNCB a décidé de retenir pour la poursuite des discussions une candidature: celle du constructeur espagnol CAF. La société Alstom, qui dispose d’unités de production basées en Belgique, a regretté par communiqué ne pas avoir été retenue.
Pouvez-vous nous indiquer le budget prévu pour ce marché public? Dans quelle mesure les offres reçues sont-elles supérieures ou inférieures aux montants prévus initialement? Combien de nouvelles places ce marché public vise-t-il? Quels sont les critères pour évaluer l’offre des différents soumissionnaires pour ce marché? À quelle hauteur ont-ils été comptabilisés?
Dans quelle mesure la performance énergétique et l’impact CO2 ont-ils été pris en compte dans le cadre de ce cahier des charges? Quels sont les critères ayant conduit à choisir le soumissionnaire retenu? Le cas échéant, où seront construits les trains concernés?
Dans quelle mesure peut-on considérer que les candidatures non retenues à ce stade sont définitivement abandonnées et que c’est l’opérateur choisi comme soumissionnaire préférentiel qui remportera in fine le marché? Quelles sont les possibilités de recours pour les opérateurs non retenus? Dans quel délai doivent-elles être mises en œuvre? Avez-vous connaissance de recours qui seraient introduits?
Quelle est la réponse apportée par la SNCB aux questions posées par la société Alsthom qui n’a pas été retenue dans ce marché? Pouvez-vous nous la communiquer? La jugez-vous concluante? Quels sont les autres marchés dont bénéficie par ailleurs Alstom avec la SNCB ou Infrabel?
Réponse du Ministre Crucke
Chers collègues, je vous remercie pour toutes vos questions. Permettez-moi de clarifier le marché public des rames AM30 de la SNCB, qui a fait l’objet de nombreuses discussions ces derniers jours. Rappelons que la SNCB est une entreprise publique autonome. Elle dispose de son propre conseil d’administration, dont le rôle est de gérer l’entreprise de manière indépendante, dans le respect des règles en vigueur. En tant que Ministre de la Mobilité, je ne siège pas à ce conseil et n’interviens pas dans les décisions opérationnelles. Mon rôle se limite à veiller au respect du contrat de service entre l’Etat et la SNCB, ce qui exclut toute ingérence dans la gestion quotidienne ou l’attribution de marchés publics.
En ce qui concerne le contrat AM30, je voudrais insister sur un point fondamental. A ce stade, il ne s’agit pas d’une attribution définitive du marché, mais de la désignation d’un soumissionnaire privilégié. La SNCB a choisi l’entreprise espagnole CAF comme soumissionnaire privilégié. Cela signifie que les négociations sont toujours en cours. Aucune entreprise n’a donc été définitivement choisie et la décision d’attribution finale devra faire l’objet d’une nouvelle délibération du conseil d’administration. Ces négociations peuvent également inclure des discussions sur la possibilité de créer des emplois en Belgique dans le cadre du contrat en question.
Il est important de noter que cette décision a été prise à l’unanimité par le conseil d’administration de la SNCB, où siègent des administrateurs de différentes tendances politiques. Pour être clair, le parti Les Engagés n’a aucun administrateur au sein de ce conseil. Si quelqu’un veut plus de détails sur le processus de prise de décision, il peut contacter les administrateurs représentant son propre parti politique au sein de l’instance concernée.
Cette décision est basée sur les spécifications qui ont été préparées et validées lors de la précédente législature. Ce cahier des charges n’a à aucun moment été suspendu par mon prédécesseur, ce qui ce qui signifie que ce contrat est le cadre établi sous le précédent gouvernement. Quant au rôle des commissaires du gouvernement, je rappelle qu’il est strictement encadré par une législation fédérale spécifique. Leur rôle principal est d’assurer la légalité des décisions prises au sein des entreprises publiques autonomes. Les commissaires peuvent seulement signaler les irrégularités ou le non-respect des règles régissant ces entreprises. Dans ce cas précis, aucun commissaire du gouvernement n’a jugé nécessaire de me saisir après que le conseil d’administration de la SNCB ait délibéré. Il n’a donc jamais été considéré qu’il y avait matière à intervention d’un ministre ou du gouvernement à ce stade du processus.
En réponse à la demande d’un rapport circonstancié sur ce marché – j’irai même au-delà de cette demande –, la direction de la SNCB est pleinement disponible pour justifier ses choix. Si la commission parlementaire souhaite entendre la CEO de la SNCB afin d’obtenir davantage de précisions sur les motivations ayant conduit à la désignation du soumissionnaire préférentiel, cette audition pourrait être organisée dans les meilleurs délais.
Enfin, j’attire votre attention sur les conséquences d’une éventuelle suspension de la décision du conseil d’administration. Une telle démarche, en contradiction avec l’unanimité qui s’est dégagée au sein de cette instance et avec le principe même de gouvernance des entreprises publiques, aurait pour effet immédiat de relancer complètement le marché, avec à la clé un retard de trois à quatre ans dans l’acquisition de ce matériel ferroviaire dont la SNCB a un besoin urgent afin d’assurer la modernisation de son parc roulant et d’améliorer la qualité du service offert aux usagers. Les autres questions de l’assemblée qui vont suivre le prouvent.
Par ailleurs, en ce qui concerne la demande du député Denis Ducarme – qui n’est pas présent – visant à obtenir une version digitale du marché public octroyé à CAF, je rappelle qu’aucune attribution définitive du marché n’a encore eu lieu. Il est donc prématuré de parler de marché finalement octroyé dans la mesure où nous sommes encore dans une phase de désignation préférentielle et de négociations. En revanche, s’il souhaite obtenir des précisions sur la décision du conseil d’administration qui a amené à cette désignation, je l’invite à s’adresser aux administrateurs du Mouvement Réformateur qui siègent dans ce conseil.
Enfin, soucieux de la transparence et du respect des règles en vigueur, j’ai demandé à la SNCB de répondre de manière circonstanciée aux courriers qui lui ont été adressés par l’entreprise qui estime avoir été lésée par cette décision. Les entreprises publiques sont des acteurs majeurs de notre économie tant par les services essentiels qu’elles assurent que par l’impact de leurs marchés publics sur l’industrie et l’emploi en Belgique. Il est donc compréhensible que le marché public AM30 de la SNCB suscite un débat important.
Je tiens à rappeler que la SNCB, en tant qu’entreprise publique autonome, est soumise aux réglementations strictes des marchés publics belges et européens qui garantissent la transparence et l’égalité de traitement entre soumissionnaires. La désignation de CAF en tant que soumissionnaire préférentiel a été prise à l’unanimité par le conseil d’administration, je le répète.
La SNCB a évalué les offres sur base de critères objectifs prédéfinis: le prix, la qualité technique, la consommation énergétique, les termes contractuels. La différence de points entre les offres démontre que la compétition a été serrée et que la procédure a été menée en toute transparence. À ce stade, il ne s’agit que de la désignation d’un soumissionnaire préférentiel, une décision qui peut d’ailleurs être combattue devant le Conseil d’État.
L’attribution définitive du contrat n’interviendra qu’à l’issue de la procédure, laissant la possibilité aux entreprises de former des recours si elles estiment que leurs droits ont été bafoués. J’entends parfaitement les préoccupations relatives aux retombées économiques locales des marchés publics. Cependant, soulignons qu’aucune clause n’a été intégrée dans le cahier des charges initial – rédigé sous la précédente législature – qui aurait permis de favoriser une production locale. En outre, les règles européennes interdisent de conférer un avantage basé sur l’origine géographique de la production, qui serait considéré comme une discrimination contraire au principe du marché unique. Toutefois, cette situation met en évidence la nécessité d’un débat sur l’évolution des règles en matière de marchés publics. C’est pourquoi j’ai immédiatement interpellé le premier ministre afin d’examiner comment des critères liés aux retombées économiques locales, au
développement industriel et à l’emploi pourraient être mieux intégrés dans les futurs cahiers des charges tout en restant conformes aux directives européennes.
À la question de savoir si cette situation avait pu se produire dans les pays voisins, je vous indique que, contrairement à certaines perceptions, les règles européennes sont les mêmes pour tous les États membres. Si certains pays semblent mieux tirer leur épingle du jeu, c’est souvent en intégrant d’emblée des critères stratégiques – notamment environnementaux – qui favorisent indirectement une production locale. Nous devons nous en inspirer, mais cela n’a pas été le cas. Que vais-je faire concrètement pour défendre notre industrie? J’ai saisi, comme je l’ai dit, le Premier Ministre, afin d’ouvrir un débat sur l’évolution des critères, notamment pour intégrer ces exigences environnementales.
Vous me demandez également s’il faut s’attendre à de nouvelles pertes pour notre industrie. L’objectif est précisément d’anticiper et d’éviter ces situations à l’avenir en adaptant nos stratégies d’attribution des marchés publics. Cela nécessite une révision des pratiques et une action concertée à l’échelle européenne pour garantir que nos industries bénéficieront d’un cas de concurrence équitable. Le montant de l’estimation initiale du marché pour la première commande, dans le cas d’un contrat-cadre, s’élevait à 1,811 milliard d’euros prévus dans le programme pluriannuel d’investissement. La commande finale représente un montant d’1,695 milliard d’euros, soit un montant inférieur à l’estimation budgétaire visée. Le nombre de véhicules et de nouvelles places prévues, c’est 180 automotrices pour 54 000 places assises pour la première commande, comme prévu dans la précédente attribution décidée par le conseil d’administration le 23 décembre 2022.
Pour ce qui concerne les critères, je les ai évoqués: valeur financière de l’offre, valeur technique de l’offre, conditions générales et calendrier de livraison, consommation d’énergie. Quant à savoir si nous pourrons, dans ce dossier, publier la réponse qui a été faite par la SNCB à Alstom, la réponse est non, vu que la procédure est toujours en cours. À l’heure où je vous parle, je n’ai pas connaissance d’un recours qui a été introduit. Cela ne veut pas dire qu’il ne le sera pas mais, à ce stade-ci, je n’en ai pas connaissance.
Ma réponse
Monsieur le Ministre, je vous remercie d’avoir répondu à peu près à toutes mes questions.
En effet, on peut regretter que ce ne soit pas une production locale. Je le regrette également. Maintenant, comme vous l’avez souligné, les règles européennes sont ce qu’elles sont. Par ailleurs, on peut aussi regretter que l’offre d’Alstom n’ait pas été la meilleure, dans cet ordre d’idée. Vous me confirmez que, de toute façon, le dialogue est en cours et que cette décision n’est pas clôturée. Nous resterons évidemment attentifs à ce dossier. Nous espérons que les autres pays jouent le jeu et sélectionnent également Alstom quand ils rendent les meilleures offres dans leur pays. C’est cela qu’il faut souhaiter dans un marché ouvert. On sait à quel point il y a des défauts en matière de marchés ouverts comme ceux-là, mais c’est la réalité dans laquelle on se trouve.
Nous continuerons à suivre le dossier de près.