Question parlementaire à la ministre Van Bossuyt posée le 21 octobre 2025. Compte rendu complet de la Commission
Le mardi 7 octobre, Mahmoud Ezzat Farag Allah, palestinien de Gaza, s’est suicidé au centre fermé 127bis dans lequel il était détenu depuis trois mois.
D’après les premières informations nous parvenant, Mahmoud était dans un état psychologique très fragile. Sa maman venait de décéder en Palestine au moment où il a été enfermé et le reste de sa famille se trouvait encore là-bas. Son avocate a révélé qu’il avait besoin d’un suivi médical, qui lui a été refusé. On a refusé de lui donner des médicaments, disant qu’il n’était pas malade.
« Une personne comme lui ne devrait pas être dans un centre fermé, il aurait dû aller à l’hôpital », a témoigné son avocate. Elle explique également avoir signalé la fragilité psychologique de son client dans une requête introduite le 23 septembre au Conseil du Contentieux des Étrangers, dont l’Office des étrangers a été informé.
L’état psychologique de Mahmoud, déjà fragilisé par le parcours d’exil et les violences subies à Gaza et en Grèce, a été aggravé par le décès de sa mère. Il avait d’ailleurs déjà fait au moins une tentative de suicide, qui était documentée par une hospitalisation en urgence pour intoxication médicamenteuse.
Il était détenu en centre fermé en raison de la politique absurde qui consiste à forcer les réfugiés à résider dans le pays qui leur a accordé le statut, même si ce pays ne leur permet pas de vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine, même s’ils ont de la famille ou un réseau de solidarité en Belgique.
Rappelons que vous, madame la ministre, avez décidé de pousser encore plus loin cette politique de l’absurde en retirant l’hébergement à ces personnes en Belgique.
Mahmoud a survécu au blocus de Gaza, à l’occupation israélienne, aux bombardements, à l’apartheid. Son espoir, sa volonté de vivre ont traversé tout ça, mais vous, vous avez réussi à le briser.
Ce suicide démontre que les filtres qui sont censés protéger ces personnes vulnérables d’un renvoi vers un pays comme la Grèce sont gravement défaillants. Mahmoud était vulnérable; et pourtant il faisait l’objet d’un renvoi forcé.
- Madame la ministre, compte tenu de ce précédent gravissime, prévoyez-vous de remettre en question de façon fondamentale votre politique concernant les dossiers M?
- Combien de décès ont eu lieu dans les différents centres fermés du pays ces 10 dernières années?
- Comment sont-ils répartis parmi les différents centres? Parmi ces décès, combien étaient des suicides?
La réponse de la ministre :
Chers députés, les faits qui se sont déroulés dans le centre fermé 127bis, où une personne s’est donné la mort, m’ont bien sûr touché, tout comme les membres du personnel du Service des étrangers. C’est un drame humain que je déplore profondément.
Je dois dire que je ne communique généralement pas sur des cas individuels, mais les insinuations injustifiées qui sont faites ici m’amènent à partager certaines informations.
L’Office des étrangers prend toutes les précautions nécessaires pour que la situation des personnes détenues dans ses centres fermés soit conforme aux normes internationales et nationales. Je tiens ici à remercier chaleureusement les membres du personnel du centre 127bis, entre autres, pour le travail qu’ils accomplissent chaque jour, souvent dans des conditions très difficiles. J’ai à nouveau entendu ici des propos particuliers à l’égard des membres du personnel, peut-être pas personnellement, mais des insinuations ont tout de même été faites. Je tiens à les remercier sincèrement pour le travail qu’ils accomplissent chaque jour.
La politique et le fonctionnement des centres fermés sont définis dans la loi du 15 décembre 1980 et l’arrêté royal du 2 août 2002.
Dans les cas de personnes bénéficiant d’une protection internationale, chaque situation individuelle est examinée au cas par cas par une instance indépendante, le CGRA, et en cas de recours, par une juridiction indépendante, le Conseil du Contentieux des Étrangers. Aucun refus automatique n’est pris.
Dans ce cadre, il me paraît important de rappeler l’existence d’une communication de la Commission européenne datée du 4 avril 2025 relative au statut de la gestion de la migration en Grèce. Si la Commission reconnaît que des améliorations peuvent encore être nécessaires en Grèce, elle souligne les nombreux efforts faits depuis des années par la Grèce en collaboration entre autres avec les structures et agences européennes. La Grèce a développé un système national de gestion des migrations doté des infrastructures, des équipements et des outils nécessaires.
Pour répondre à la question de savoir si je compte revoir la politique relative aux demandes introduites par des personnes bénéficiant déjà d’une protection internationale dans un autre État membre, la réponse est négative. Je le répète, l’asile a pour but d’offrir une protection à ceux qui en ont besoin et non de garantir de meilleurs avantages sociaux.
La personne dont il est question bénéficiait de cette protection en Grèce et a introduit à cinq reprises consécutives une demande de protection en Belgique. Toutes ses demandes ont été refusées par le CGRA et ces décisions ont été confirmées par le Conseil du Contentieux des Étrangers.
Conformément aux dispositions de l’arrêté royal, cet homme a été soumis à un premier bilan de santé lors de son arrivée au centre. Cette première évaluation visait à déterminer de manière exhaustive son état de santé physique et mental à son arrivée.
Pendant son séjour, il a été suivi systématiquement par le service médical et le service psychologique. Ce suivi a été mis en place d’une part, à l’initiative des services du centre et d’autre part, à la demande expresse de l’intéressé lui-même.
L’encadrement consistait en des entretiens formels et des consultations planifiées, avec un suivi informel via les observations quotidiennes du personnel et les discussions dans le cadre de la concertation pluridisciplinaire quotidienne. Le suivi par le service médical – infirmiers et/ou médecins – et le suivi psychologique comprenait 40 contacts formels et informels enregistrés, dont 10 consultations auprès du médecin du centre, ainsi qu’un encadrement quotidien assuré par les éducateurs de groupes. Il ne peut donc clairement pas être question d’un refus de soutien psychologique.
Suite aux événements tragiques entourant le décès de M. Farag Allah, une enquête interne a été immédiatement ouverte. Cette enquête, qui a pour objectif d’établir en détail les circonstances de l’incident, est en cours et des entretiens sont menés avec les collaborateurs, les résidents et les autres parties concernées afin d’obtenir une vision complète de la situation.
Au cours des 10 dernières années, neuf décès ont été enregistrés dans les centres fermés : trois au centre fermé de Merksplas, un à Bruges, trois à Vottem et deux au centre 127bis. Six d’entre eux étaient dus à un suicide.
Une décision de détention repose sur une évaluation individuelle de tous les éléments du dossier. Les informations médicales dont dispose l’Office des étrangers à ce moment-là sont également prises en compte. Ces éléments médicaux sont en outre réévalués par les instances de recours.
Comme je l’ai expliqué, les centres fermés disposent déjà d’un cadre médical et psychologique étendu. Lors de leur admission, les résidents sont informés de la possibilité de faire appel à une aide psychologique. De plus, les résidents vulnérables font l’objet d’une discussion lors d’une concertation multidisciplinaire.
Si le pays d’origine a besoin d’une aide médicale supplémentaire, celle-ci peut être fournie dans le cadre d’un programme special needs.
Ma réplique:
Madame la ministre, je vous remercie pour la réponse.
Nous sommes ici face à une personne qui s’est suicidée parce qu’elle était enfermée dans un centre fermé en raison de nos politiques. Tout ne s’est donc pas passé comme il le fallait. Il y a bien eu des dysfonctionnements, et j’estime que les propos de l’avocate de Mahmoud, selon lesquels elle avait signalé la fragilité psychologique de son client qui s’est ensuite vu refuser des médicaments, doivent être pris en compte dans le cadre de l’enquête que vous avez annoncée.
Je suis soulagée par cette annonce d’enquête. En effet, la première partie de la réponse laissait entendre que vous étiez prêts à recommencer, prêts à assumer, au nom de vos politiques, que des Palestiniens se suicident en prison au nom d’un imbroglio administratif voulant renvoyer des personnes ayant obtenu un statut en Grèce – un pays qui ne respecte absolument pas, au regard de nombreux rapports, les droits des personnes qui ont besoin de l’accueil le plus élémentaire. Une personne dans un tel état psychologique ne devait pas être renvoyée vers la Grèce, c’est une évidence.
Je suis donc heureuse d’entendre qu’une enquête sera menée tout du moins. Il y a quelques années, cet événement aurait entraîné la démission de la ministre, mais nous n’en sommes plus là, comme nous le savons. J’espère que cette enquête mènera à des changements de fond au niveau de la politique de l’asile. En effet, plus aucun demandeur d’asile, plus aucune personne sans titre de séjour ne doit se suicider dans notre pays en raison de nos politiques de migration absurdes. Ce principe devrait constituer votre boussole, madame la ministre.