Question parlementaire à la ministre Van Bossuyt sur les négociations avec les Talibans. Lien vers le compte rendu complet de la Comission.
Ma question :
Madame la ministre, vous avez récemment évoqué dans les médias la possibilité d’organiser l’expulsion forcée de ressortissants afghans. Or l’Afghanistan est dirigé par un régime totalitaire, islamiste et fondamentaliste, depuis la prise du pouvoir par les talibans en août 2021. Aucun État membre de l’Union européenne, y compris la Belgique, ne reconnaît ce régime. Celui-ci est tellement odieux et infréquentable que toute coopération consulaire est exclue, notamment la collaboration en vue de l’identification et du retour forcé des personnes qui ont fui ce régime.
La situation sur place est dramatique, en particulier – mais pas seulement – pour les femmes. Selon Afghan Witness, 332 femmes et filles ont été tuées entre janvier 2022 et juin 2024. Plus de 800 cas de violences fondées sur le genre ont également été recensés. Le rapporteur spécial des Nations Unies signale des violences sexuelles, des tortures, des détentions arbitraires visant celles qui ne respectent pas le port du voile. À ce jour, 1 500 femmes ont été emprisonnées par le régime des talibans. Par ailleurs, les personnes LGBT ainsi que les minorités ethniques et religieuses continuent d’être persécutées.
Dans ce contexte, envisager des retours forcés soulève des questions de respect des droits fondamentaux, en particulier celui de l’article 3 de la CEDH qui interdit l’expulsion d’une personne vers un lieu où elle risque d’être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Le HCR recommande, du reste, la suspension de tout retour forcé vers l’Afghanistan.
Pour justifier ces mesures, vous parlez dans la presse de l’expulsion de personnes ayant commis des crimes particulièrement graves. L’interdiction de la torture et des mauvais traitements s’applique à tout le monde, sans distinction, par exemple aux exilés qui ont sombré dans la délinquance en consommant des stupéfiants, parfois après de longs mois passés à la rue parce que la Belgique ne leur a pas garanti l’accueil pendant la demande d’asile. N’oublions pas non plus que les personnes en séjour précaire telles que les demandeurs d’asile vont déjà écoper statistiquement de peines plus lourdes, échappant aux sursis et aux aménagements de peine en raison de l’instabilité de leur séjour en Belgique.
Madame la ministre, votre prédécesseur Theo Francken s’était tristement illustré en 2017 en annonçant l’arrivée en Belgique d’une mission d’identification soudanaise qui allait permettre au régime soudanais d’identifier des exilés présents en Belgique en vue de leur rapatriement forcé par les autorités belges. On se souvient de cette photo sur laquelle M. Francken posait tout sourire aux côtés du chef des services secrets de l’ex-président soudanais Omar el-Bechir, qui est aujourd’hui incarcéré pour crime de guerre.
On vous sent enthousiaste de marcher dans les pas de votre prédécesseur mais vous avez un désavantage par rapport à lui, madame la ministre. Cela risque d’être compliqué de trouver un haut gradé taliban qui acceptera de poser en photo en serrant la main d’une femme. Voilà, coup dans l’eau!
L’affaire Francken avait donné lieu à une enquête du CGRA qui avait conclu, sans surprise, que ces missions d’identification n’offraient absolument pas les garanties suffisantes du respect de l’article 3 de la CEDH.
Madame la ministre, la Belgique ne devrait-elle pas plutôt accueillir les personnes qui ont fui le régime de terreur des talibans, plutôt que de les livrer à ces autorités sans scrupules? Sur quelle base juridique la Belgique pourrait-elle organiser des retours vers un régime qu’elle ne reconnaît pas et avec lequel elle n’a aucun lien consulaire officiel? Si c’est votre intention d’expulser uniquement des personnes ayant commis certains crimes, quels critères seront suivis par votre administration pour déterminer la gravité des faits commis? Et, pour éviter qu’une personne ne soit expulsée vers les talibans à la suite de faits mineurs, une évaluation individuelle des risques sera-t-elle systématiquement mise en œuvre pour chaque personne concernée? Avec quelles garanties et quels recours légaux? Enfin, quelles garanties concrètes pourraient selon vous être obtenues quant à la sécurité et au traitement des personnes expulsées dans un tel contexte de violation massive des droits humains ?
La réponse de la ministre :
Merci, Madame la Présidente. Chers collègues, les nombreuses questions que vous avez posées montrent que le débat que j’ai lancé au niveau européen est bien vivant.
Ce n’est bien sûr pas illogique. Plusieurs députés ont déjà souligné que moins de la moitié des Afghans qui introduisent une demande de protection internationale en Belgique obtiennent effectivement cette protection.
Cela signifie que le CGRA, une instance indépendante, estime que ces personnes ne craignent pas de persécutions au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et ne remplissent pas non plus les conditions pour bénéficier de la protection subsidiaire. Le CGRA considère donc lui-même qu’il n’existe aucun risque de violation du principe de non-refoulement. Ces décisions sont d’ailleurs confirmées en appel par le Conseil du Contentieux des Étrangers.
Je tiens également à souligner que le Service des étrangers délivre aux demandeurs d’asile déboutés une décision de quitter le territoire. Cette décision est également motivée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, auquel certains d’entre vous font référence. Cette évaluation va d’ailleurs plus loin que celle déjà effectuée par le CGRA, qui se limite à la nécessité d’une protection internationale. Ces décisions du Service des étrangers sont également systématiquement confirmées par le Conseil du contentieux des étrangers.
Comme vous le savez, la décision de retour peut faire l’objet d’une demande d’annulation ou de suspension. Il est également possible de demander au juge civil des mesures urgentes et provisoires dans le cadre d’une procédure en référé. La conclusion est ensuite très claire : ces personnes n’ont pas besoin de protection et leur retour ne constitue pas une violation du principe de non-refoulement ni de l’article 3 de la CEDH.
Je lis bien sûr aussi les réactions et les propos incendiaires – ce qui vient d’ailleurs de se reproduire ici tout à l’heure – comme si nous poussions des femmes et des enfants dans les bras des talibans. Ce n’est évidemment pas le cas, car ce sont justement eux qui représentent la moitié des demandeurs qui obtiennent un statut de protection.
Lorsque nous constatons que les Afghans déboutés, qui séjournent illégalement sur le territoire et sont soumis à une obligation de retour, peuvent difficilement être renvoyés en Afghanistan depuis le changement de régime et que nous avons assisté récemment à plusieurs incidents violents – auxquels Mme De Vreese a fait référence , j’estime qu’il est de mon devoir, en tant que ministre de l’Asile et de la Migration, de rechercher une solution dans l’intérêt de notre société et de sa sécurité. Dans cette optique, une politique de tolérance, comme certains le suggèrent, n’est pas une option. Lorsque le retour est difficile, nous devons rechercher des solutions et ne pas nous résigner à la situation ou mener une forme de régularisation ou de politique de tolérance.
J’ai donc lancé la discussion sur le retour en Afghanistan au niveau européen. J’ai effectivement eu des consultations à ce sujet avec le commissaire européen Brunner et j’ai également soulevé la question lors du sommet sur les migrations de Munich, auquel M. Vandemaele a fait référence, organisé par le ministre allemand Dobrindt. Il ne s’agissait donc pas d’un conseil des ministres général des ministres de l’Intérieur ou de l’Asile et de la Migration, mais d’une consultation en cercle restreint. L’Allemagne, la Suisse, la Suède, la Pologne, les Pays-Bas, l’Autriche, le Danemark et le Luxembourg étaient présents à Munich, ainsi que la délégation belge et le commissaire Brunner.
J’ai constaté à cette occasion que ma proposition bénéficiait d’un large soutien. J’ai ensuite élargi cette initiative au niveau européen par le biais d’une lettre adressée au commissaire Brunner. Cette lettre a été signée par vingt pays. Monsieur Vandemaele, vous parlez d’une « vingtaine », mais il s’agit en réalité de vingt pays. Il s’agit donc d’une très large majorité.
Chers collègues, vous avez demandé de quels pays il s’agissait. Par ordre alphabétique, il s’agit de la Belgique, de la Bulgarie, de Chypre, de l’Allemagne, de l’Estonie, de la Finlande, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Irlande, de l’Italie, de la Lituanie, du Luxembourg, de Malte, des Pays-Bas, de la Norvège, de l’Autriche, de la Pologne, de la Slovaquie, de la République tchèque et de la Suède. L’Allemagne, qui a déjà obtenu des résultats, apporte donc également son soutien total. Comme Mme Van Belleghem l’a déjà mentionné, l’Allemagne a en effet déjà obtenu des résultats. Le fait que l’Allemagne soutienne la question montre toutefois que ce pays comprend l’importance de l’utilisation du levier européen.
J’opte délibérément pour la coopération européenne. C’est à mon avis la solution la plus logique et celle qui a le plus de chances de réussir. Il s’agit en effet d’une stratégie commune qui nous permettra d’avoir plus de poids diplomatique. Cela sera plus efficace qu’une approche fragmentée.
Ma réplique :
La façon dont se déroule cette commission est un peu surprenante pour quelqu’un qui n’y siège pas chaque semaine. La présidente pose des questions depuis le banc de la présidence et interrompt ensuite les députés. Ce n’est pas tout à fait orthodoxe comme manière de présider, madame la présidente.
Bref, revenons-en au sujet qui nous occupe aujourd’hui. Nous avons pu comprendre dans vos réponses, madame la ministre, que vous visez tous les ressortissants afghans qui sont déboutés du droit d’asile. Cela signifie que n’importe quel réfugié qui n’a pas reçu la protection internationale pourrait être renvoyé. Nous sommes déjà dans un système complètement absurde qui déboute des personnes du droit d’asile alors qu’elles ne sont pas renvoyables. Or, aujourd’hui, on sait à quel point il est ultra nécessaire de faire en sorte que ces profils-là soient acceptés le plus vite possible dans le circuit pour pouvoir se former, trouver un emploi et reconstruire leur vie après les violences extrêmes et la traversée extrêmement difficile qu’ils ont dû effectuer pour arriver dans notre pays. Pour moi, la place d’un réfugié afghan est dans une classe de français ou de néerlandais, pas dans un centre fermé, pas dans un avion pour retourner vers un régime complètement autoritaire qui a de très fortes de chances de lui ôter la vie.
Vous vous vantez, madame la ministre, de vous ranger aux côtés de la Hongrie, de l’Italie de Mme Meloni, mais tout cela, vous le faites avec le mandat de votre majorité. Je vois que Les Engagés nous ont rejoints dans cette commission. Madame Pirson, donnez-vous mandat à Mme la ministre pour être le moteur au niveau européen afin d’engager des discussions avec le régime des talibans? Agit-elle bien dans le cadre du mandat que vous lui accordez? C’est la question que nous nous posons tous. Que fait le MR et que font Les Engagés dans ce dossier? Comment est-ce possible? Comment pouvez-vous amener la Belgique sur ce terrain-là? Franchement, je ne comprends pas. Nous continuerons à interroger aussi M. Prévot sur ce sujet. Je vous remercie.