Question posée à Jan Jambon, Ministre des Pensions, lors de la commission affaires sociales du 26 février 2025
Monsieur le Ministre,
D’après mes calculs, la réforme des pensions que vous prévoyez aura un impact particulièrement important sur le montant de la pension des femmes :
– L’introduction du malus pension pourrait faire perdre jusqu’à 400 euros par mois en cas de pension anticipée, sans que la dimension de pénibilité du travail ne soit prise en compte.
– la suppression, à terme, de la pension de survie, remplacée par l’allocation de transition, sans attention particulière à l’âge, poussera des femmes à faire un retour sur le marché de l’emploi à des âges où l’on sait que les discriminations à l’embauche sont particulièrement importantes.
– La suppression à terme de la pension au taux ménage et de la pension de divorce qui en découle : le Bureau du Plan (2023) a estimé que la suppression de la pension de divorce entraînerait une perte moyenne de 145 euros par mois pour les femmes, contre 16 euros pour les hommes.
Monsieur le Ministre,
- Confirmez vous ces éléments?
- Allez-vous réaliser une étude d’impact sur les femmes?
- Dans l’accord de majorité, vous mentionnez « Nous demandons au Bureau fédéral du Plan de calculer l’impact de la réforme des pensions dans son ensemble, afin de connaître son effet à moyen et long terme (2040, 2050, 2070). Nous demandons également que les paramètres sociaux soient pris en compte (tels que le risque de pauvreté chez les personnes âgées, l’écart de pension entre hommes et femmes, …). » Comment allez-vous opérationnaliser ceci? Dans quel timming?
Réponse du Ministre Jambon
Madame Schlitz, concernant la motivation de cette réforme et l’impact sur la pauvreté des femmes, je tiens d’abord à signaler que la pension de ménage n’existe que pour des couples mariés. En effet, depuis plusieurs années, de plus en plus de questions surgissent sur la légitimité de faire, au sein de la législation des pensions, une distinction entre couples mariés et couples en cohabitation légale, ces derniers étant exclus de la pension de ménage.
Dans la fiscalité et d’autres branches de la sécurité sociale, il n’existe par contre plus de distinction entre mariés et cohabitants légaux. Les ménages de cohabitation peuvent se dissoudre et il n’existe pas de droit de pension dérivé, ni de pension de survie ou de divorce pour les personnes qui se retrouvent seules après une période de cohabitation légale.
Ensuite, je vous rappelle que la distinction entre pension au taux de ménage et pension au taux d’isolé n’existe que dans le régime des salariés et des indépendants. Au sein du régime des fonctionnaires, cela n’existe pas. Concrètement, si vous êtes marié à un salarié indépendant et qu’il y a un divorce, vous pourriez, sous certaines conditions, ouvrir le droit à une pension de divorce. Ce n’est pas le cas si vous êtes marié à une fonctionnaire et qu’il y a un divorce.
Notre réforme des pensions qui essaye d’harmoniser les régimes, permet de remédier également à ces incohérences en supprimant de façon très graduelle pour le futur les nouvelles entrées de pension des ménages. Cette distinction, difficile à légitimer en fonction de l’état civil et en fonction du régime de pension, disparaît. En même temps, cela permet d’harmoniser le régime des fonctionnaires salariés et indépendants.
J’attire votre attention sur le fait que nous mettons en œuvre une des recommandations de la Commission académique des pensions de 2014 qui plaide pour une harmonisation de la dimension familiale. À moyen terme. le taux ménage doit être supprimé pour les travailleurs salariés et les travailleurs indépendants. En outre, une période de transition supplémentaire et suffisamment longue est nécessaire en ce qui concerne le régime des minimums où le taux ménage doit être maintenu plus longtemps. C’est exactement ce que nous allons faire.
En effet, le taux ménage continuera à exister pour les pensions minimums; tout comme seront maintenues les distinctions entre isolé et cohabitant pour la GRAPA. Cette réforme ne plonge donc pas les femmes dans la pauvreté. En plus, je vous signale que nous allons implémenter le concept de pension split en cas de divorce, bien que ce soit sur base volontaire. Une campagne d’information sera d’ailleurs mise en place. Là aussi, il s’agit d’une idée avancée par la Commission académique des pensions en 2014.
Dans le futur, les femmes qui se retrouvent dans une situation de séparation d’un couple en cohabitation légale seront donc mieux protégées qu’elles ne le sont aujourd’hui. De plus, vos propos sur l’allocation de transition m’étonnent; c’est le gouvernement Di Rupo qui a introduit ce système pour permettre aux jeunes veufs et jeunes veuves en âge actif de cumuler pendant une période limitée, leur allocation de transition avec d’autres revenus de façon illimitée. En augmentant la limite d’âge de l’allocation de transition, nous implémentons par ailleurs une recommandation de la Commission académique des pensions. Je cite: « Nous proposons de relever davantage la limite d’âge pour les allocations de transition. Partant de l’idée selon laquelle on devrait travailler plus longtemps, il peut être envisagé de faire correspondre l’âge minimum auquel le partenaire survivant peut demander une pension de survie à l’âge auquel il peut lui-même demander sa pension, comme pension anticipée ou parce qu’il a atteint l’âge légal de la pension. » C’est exactement ce que nous allons faire.
Avant de terminer, je vous rappelle que ce gouvernement attache une importance particulière aux périodes de travail informel, qu’il s’agisse de soins pour enfants ou de soins pour un autre membre de la famille qui nécessite des soins. Toutes les périodes de congé avec un motif de soins sont assimilées, et sont en plus honorées comme des périodes effectivement travaillées. En effet, les femmes qui, à la maison, s’occupent de leurs enfants ou donnent des soins à un autre membre de la famille, ces femmes travaillent, et nous le reconnaissons à plusieurs reprises dans notre accord de gouvernement.
En ce qui concerne les questions sur le durcissement des conditions de carrière et l’égalité hommes-femmes, il semble que vous suggérez qu’un durcissement des conditions de carrière nuit aux femmes. Mais un gouvernement précédent a déjà durci les conditions de carrière pour la retraite anticipée en 2015-2016. Le résultat est bien le contraire. Vous pouvez le relire dans les rapports du Comité d’Étude sur le Vieillissement. Les femmes doivent en effet rallonger leur carrière. De ce fait, elles se constituent des droits de pension plus élevés, ce qui a permis notamment de réduire le pension gap entre hommes et femmes.
Et finalement, madame Schlitz, étant donné qu’il est prévu dans l’accord de gouvernement que nous fassions une étude pour évaluer ces éléments, je vais exécuter cette phrase issue de cet accord, tout comme les autres.
Réplique de Sarah Schlitz
En effet, ce n’est pas parce que des régimes différents octroient moins de droits à certaines que d’autres qu’il faut niveler par le bas la situation, au contraire! Il faut plutôt s’interroger sur les inégalités qui subsistent entre les couples. Quand on voit qu’entre les couples mariés et les cohabitants légaux, il y a moins de droits, peut-être faudrait-il aligner ce type de droits entre les couples cohabitants et les couples mariés. C’est ce que recommandent certains académiques dans une étude sur les écarts de patrimoines.
C’est plutôt vers ce type de pistes qu’il faut s’orienter. En effet, monsieur le ministre, les pensions des femmes sont le reflet de leurs carrières qui, aujourd’hui encore, occupent des métiers moins bien rémunérés, des temps partiels qui, dans la majorité des cas, sont subis. Elles réalisent de nombreux travaux domestiques, s’occupent davantage des enfants, des personnes âgées et pallient à toutes sortes de missions que l’État ne prend pas à sa charge, comme s’occuper des personnes malades.
Tout cela, c’est du travail gratuit qu’elles font bien volontiers, bon gré mal gré, parce qu’il n’y a pas le choix. Le minimum est de leur offrir des conditions décentes à la fin de leur vie, d’autant que souvent les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Il faut veiller à ne pas les mettre dans des situations inextricables avec des pensions totalement insuffisantes ne leur permettant pas de vivre dans la dignité malgré tous les services rendus à la population ainsi qu’à leur entourage.
C’est la mission que nous souhaitons vous voir mener. Je suis contente que vous mettiez en œuvre la mesure consistant à mesurer l’impact en matière de genres de cette réforme. J’espère que vous en suivrez les recommandations. Plus globalement, je vous recommande durant votre congé de la semaine prochaine les nombreuses publications sur les impacts genrés sur la pension de carrière entre femmes et hommes.