Monsieur le ministre,

L’année 2024 est une année extrêmement difficile pour nos agriculteurs qui ont connu de longues périodes de précipitations qui ont perturbé les semis, la croissance des plantes et les récoltes. Aujourd’hui, la maladie de la langue bleue, qui est en pleine expansion, est le coup de massue de trop pour nos agriculteurs qui ont perdu des vaches et des moutons par dizaines.

Selon l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA), 15.000 bovins et 23.000 moutons ont été touchés depuis septembre, ce qui a aggravé la situation des exploitations. Depuis octobre, une nouvelle menace se profile avec l’apparition du sérotype 12 de la maladie aux Pays-Bas. Monsieur le ministre, avez-vous de nouvelles informations sur la situation sanitaire au niveau européen?

Le 21 novembre, vous avez annoncé des facilités de paiement pour les agriculteurs touchés, telles qu’un report ou une réduction des cotisations sociales. Bien que ces mesures soient nécessaires, elles ne répondent pas à l’urgence de la situation. L’accès à la vaccination reste un enjeu crucial. Or, les coûts de ces vaccins demeurent un frein majeur pour beaucoup d’agriculteurs qui sont déjà fortement endettés et en difficultés vu la situation actuelle. Quelles mesures concrètes et immédiates prévoyez-vous pour garantir l’accès à la vaccination? Le gouvernement fédéral envisage-t-il de dégager un financement spécifique pour soulager les agriculteurs et renforcer la résilience de nos élevages face à cette nouvelle crise sanitaire? De quelle manière les contrats pour les vaccins sont-ils négociés? Sont-ils négociés au niveau européen?

Réponse du Ministre de l’Agriculture:

Comme je l’ai expliqué lors des plénières du 19 septembre et du 14 novembre 2024, je suis, avec mon cabinet et mes administrations, la problématique de la langue bleue depuis l’apparition des premiers cas chez nos voisins. Cette maladie virale touche principalement des bovins et des ovins.

Vingt-sept sérotypes du virus ont été décrits à ce jour. La crise de cette année provient du sérotype 3. Ce virus est transmis par des moucherons, et donc la seule mesure préventive est la vaccination. Les animaux infectés peuvent présenter de la fièvre, une production de lait réduite, des avortements, la stérilité et la mortalité.

Le sérotype 3 a été détecté aux Pays-Bas début septembre 2023 et le 10 octobre en Belgique. En 2023, il y a eu huit foyers au total, tous situés près de la frontière hollandaise. Il n’y avait pas de vaccin contre le sérotype 3 sur le marché à ce moment-là. Nous avons immédiatement sollicité l’AFMPS. Le 9 octobre 2023, elle a contacté une entreprise pharmaceutique. Le 19 octobre, le Conseil du Fonds a lancé une enquête sur une éventuelle vaccination. Le 27 octobre, une lettre commune a été envoyée par notre chief veterinary officer (CVO) belge à Animal Health Europe, qui représente le secteur pharmaceutique.

En janvier 2024, le groupe de travail mixte bovins-ovins du Fonds sanitaire a décidé d’une vaccination volontaire sans intervention financière. Si le vaccin pouvait être disponible plus tôt, certains souhaitaient une obligation vaccinale et un contrôle de la distribution vers les animaux prioritaires. Ceci a été confirmé en réunion du Conseil du Fonds le 28 mars 2024. Grâce à la collaboration avec le SPF Santé publique et l’AFMPS, un vaccin initialement annoncé fin 2024 a pu être obtenu dès mai 2024. Le vaccin contre le sérotype 3 était donc disponible avant la grande circulation des moucherons. Aux Pays-Bas, il l’était en avril 2024. La Belgique était donc prête à temps. Les vaccins ne sont pas arrivés en retard.

En été 2024, le virus a de nouveau circulé suite au développement de la population des moucherons, lié à la météo. Un premier cas de FCO-3 a été constaté le 9 juillet. Fin août, j’ai demandé au Conseil du Fonds de discuter en urgence de la vaccination. En 2024, plus de 3 600 foyers ont été confirmés en Belgique. Plus de 24.000 ovins et 19.000 bovins sont morts. Chez les bovins, une baisse de la production de lait a été observée ainsi que des avortements, et le sperme des animaux est rendu inutilisable.

Cette situation, à laquelle s’ajoutent les restrictions commerciales, a un impact économique important pour les agriculteurs. J’ai donc reconnu immédiatement les secteurs ovin et bovin en tant que secteurs en crise, leur permettant de bénéficier de facilités de paiement de cotisations sociales. J’ai prolongé ces facilités pour le dernier trimestre 2024.

Depuis l’émergence de la FCO-3 en septembre 2023 aux Pays-Bas, et en octobre en Belgique, l’AFSCA, le SPF Santé, l’AFMPS, le DGZ et ARSIA ont communiqué à maintes reprises sur l’état de la situation. L’AFSCA a envoyé 7 newsletters aux vétérinaires et aux éleveurs! Des informations ont été échangées via Vetconsult, l’Agrofront et le Fonds sanitaire. Le SPF a communiqué sur les réseaux sociaux dès juillet 2024 pour inciter à la vaccination. En été, il y avait des articles dans la presse grand public et spécialisée. Une task force Bluetongue a été constituée début septembre, dans laquelle le secteur est représenté. Dierengezondheidszorg Vlaanderen (DGZ) et ARSIA ont informé les éleveurs et les vétérinaires. La liste des communications est très longue. L’accent a été mis sur la sensibilisation des éleveurs et des vétérinaires ainsi que sur l’importance de la vaccination. Malgré cela, l’objectif n’a pas toujours été atteint. Nous voulons donc faire mieux l’année prochaine. Depuis septembre, une stratégie de vaccination pour 2025 est élaborée.

Lors des dernières réunions que j’ai organisées, j’ai appelé les administrations et les représentants du secteur agricole à élaborer un plan de communication commun. Des questions et réponses seront publiées, et un coordinateur a été désigné pour faciliter les contacts. Une adresse mail générique a été créée: « contact.BTVEHDV@health.fgov.be ». Concernant l’abandon des tests de confirmation, la législation spécifie qu’en cas de symptômes, le vétérinaire envoie ses échantillons aux laboratoires de première ligne de DGZ et d’ARSIA. Ensuite, ces échantillons sont transmis à Sciensano pour la détection de la bluetongue de sérotype 3. Entre juillet et septembre 2023, environ 23 000 analyses ont été réalisées pour un coût de 850 000 euros. Les coûts supplémentaires pour

DGZ et ARSIA ont été estimés à plus de 700 000 euros. La législation européenne spécifie qu’en cas d’avortement, la présence de maladies doit être contrôlée. Les coûts pour l’autopsie et les analyses sont pris en charge par l’AFSCA. Comme il y a eu beaucoup d’avortements, les coûts pour l’AFSCA ont fortement augmenté. Sachant que la bluetongue de sérotype 3 était présente sur l’ensemble du territoire en septembre 2024 et afin de ne pas grever davantage le budget, l’AFSCA a décidé mi-septembre de mettre fin à la notification obligatoire et aux tests de confirmation obligatoires jusqu’à la fin de l’année 2024. Dès le 1er janvier 2025, les tests à charge de l’AFSCA reprendront. Il faut préserver le commerce autant que possible. La règlementation européenne fixe des règles en matière de mouvements d’animaux vers d’autres États membres.

Dans certains cas, des analyses sont exigées pour commercialiser les animaux et produits. De nombreuses consultations ont eu lieu entre l’AFSCA et les autres États membres pour faciliter les échanges et limiter l’impact économique. La certification des animaux vers les autres États membres n’est possible que si l’État membre a prévu une dérogation spécifique pour ces animaux. Le libre-échange avec les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Allemagne est possible aujourd’hui. J’ai pris plusieurs décisions afin d’éviter que la bluetongue ne frappe aussi durement en 2025 qu’en 2024.

Comme la maladie se transmet par des moucherons culicoïdes, la vaccination est le seul moyen de protéger le bétail. La vaccination volontaire n’ayant pas eu l’effet escompté – malgré des stocks suffisants –, j’ai décidé, en concertation avec le secteur, de rendre obligatoire la vaccination contre la fièvre catarrhale de sérotypes 3 et 8 pour les bovins et les ovins en 2025. Trois vaccins sont actuellement disponibles pour le sérotype 3 et deux le sont pour le sérotype 8. L’AFMPS met tout en œuvre afin que les entreprises pharmaceutiques mettent suffisamment de vaccins sur le marché à temps. J’ai récemment envoyé un courrier à ce sujet au ministre compétent, Frank Vandenbroucke.

Un protocole de vaccination clair, assorti d’une feuille de route, sera élaboré à l’intention des vétérinaires et des éleveurs. Un coordinateur a été désigné afin d’informer toutes les parties concernées. Il s’agit toutefois de nouveaux vaccins et toutes les données ne sont pas encore disponibles. Les autorisations pour l’utilisation des vaccins sont délivrées par l’AFPMS. Une autorisation temporaire a été accordée pour les vaccins actuels contre le sérotype 3. Cette autorisation accordée en vertu de l’article 110 est utilisée en cas de situation d’urgence. Les dossiers sont encore incomplets pour le moment parce que les informations ne sont tout simplement pas encore disponibles. C’est pourquoi il est par ailleurs impossible de répondre à toutes les questions. Aucun vaccin combiné n’est actuellement en cours de développement.

Le vétérinaire d’exploitation peut déléguer la vaccination contre la fièvre catarrhale à l’éleveur, à condition qu’ils aient conclu une convention de guidance vétérinaire. Le rôle des vétérinaires est essentiel dans la mise en œuvre de cette politique. Ils ont été associés à la concertation sur la gestion de la vaccination. La distribution des vaccins passera par les vétérinaires d’exploitation. Il revient au vétérinaire d’enregistrer la vaccination dans Sanitel, même en cas de délégation. Pour toute exportation qui requiert cette certification, la vaccination peut être effectuée exclusivement par le vétérinaire.

Sur le volet budgétaire, les réserves financières du Fonds sanitaire proviennent entièrement des contributions des éleveurs. La mission prioritaire du Fonds est le maintien de ses réserves pour indemniser les éleveurs lors d’abattages de bêtes en cas d’épidémie majeure. Depuis 2021, la législation européenne ne stipule plus qu’on doit éradiquer la langue bleue. Ce fonds de solidarité vise à assumer des coûts qui dépassent l’intérêt de l’éleveur individuel pour bénéficier à tout le secteur. Il peut donc servir à rémunérer des vétérinaires dans leurs missions de surveillance obligatoire, ou à l’encadrement des programmes de santé animale contre les maladies. La vaccination d’un cheptel entier pourrait s’inscrire dans ce cadre afin de rendre la Belgique à nouveau indemne d’une maladie pour laquelle l’UE impose des mesures. Mais actuellement, la langue bleue n’entre pas dans ces catégories. L’objectif n’est pas d’atteindre le statut indemne, mais de protéger le cheptel des conséquences des infections.

Une intervention du Fonds dans ces vaccins obligatoires ne comporte aucun élément de solidarité. Le Fonds est financé par les éleveurs proportionnellement au nombre d’animaux qu’ils possèdent. Le coût des vaccins est également proportionnel au nombre d’animaux. Par conséquent, tout le monde paierait indirectement ses vaccins. La décision de ne pas faire intervenir le Fonds sanitaire dans le coût des vaccins date de fin 2023-début 2024, alors qu’il n’y avait aucun vaccin disponible et qu’on n’en espérait pas un avant l’automne 2024. L’autorisation d’utilisation exceptionnelle en mai de trois vaccins a à nouveau posé la question du financement. Après la task force du 5 septembre avec les groupes de travail et le Conseil du Fonds du 16 septembre 2024, les organisations agricoles m’ont écrit pour demander une vaccination obligatoire sans recourir aux réserves du Fonds sanitaire. Le Conseil du Fonds s’est accordé pour ne pas augmenter les cotisations obligatoires des éleveurs. Les réserves du sousfonds bovins avoisinent les 14 millions d’euros alors que le seuil critique est de 19,4 millions. Une intervention du sous-fonds bovins est impossible sans augmenter les contributions.

Nous avons envisagé l’achat groupé, qui a pour avantage d’accroître les chances de disponibilité des vaccins, ce à des prix plus bas. Par contre, l’inconvénient est le délai du marché public à lancer, ce qui reporterait le vaccin à avril ou mai. Or, nous visons une vaccination préalable à la sortie en prairies, soit en mars/avril. En outre, il pourrait n’y avoir qu’un seul soumissionnaire ou aucun. Vu le manque de liquidités dont souffrent les éleveurs, j’ai demandé une rallonge budgétaire au gouvernement, pour laquelle je vous demande de me soutenir et d’en parler à vos vice-premiers. Le coût de la vaccination, entre 40 et 50 millions d’euros en fonction des scénarios, est cependant moindre que celui de la mortalité, des avortements et de la stérilité. L’indemnisation des pertes incombe aux régions. La Région wallonne intervient cette année et je n’ai pas d’information concernant la Région flamande.

En 2024, la vaccination représente 2 fois 4 euros pour un bovin et 4 euros pour un mouton. En cas de décès, la perte se monte à 3 500 euros pour un bovin et jusqu’à 200 euros pour un mouton. Comme on impose deux sérotypes pour la langue bleue et la EHD, il y aura deux vaccins pour trois maladies à 4 euros/pièce, soit 24 euros par bovin. Cette approche nécessite des modification du cadre réglementaire. Concernant la variante bluetongue 12 des Pays-Bas, depuis le 3 octobre, un mouton et deux bovins ont été testés positifs. Dans une étude rétrospective de 2 520 échantillons prélevés dans le cadre de l’infection par FCO-3 et analysés pour FCO-12, 11 échantillons de 8 localisations différentes ont été testés positifs à celle-ci. Aucune mesure supplémentaire n’est envisagée à proximité immédiate de la frontière belge. En effet, la lutte contre le vecteur culicoïdes s’est avérée peu efficace dans le passé. Même si aucun vaccin n’existe actuellement pour ce sérotype, les entreprises contactées disposent de l’antigène et peuvent le développer. Une réunion européenne des CVO sur la vaccination en tant qu’outil sanitaire s’est tenue le 5 novembre.

Toutes les parties ont envisagé de renforcer la coopération entre les secteurs public et privé afin d’élaborer une stratégie permettant à l’avenir de développer plus facilement des vaccins. Les éleveurs et vétérinaires sont informés de la situation par le SPF et l’AFSCA. Nous en saurons plus après la surveillance hivernale organisée annuellement par l’AFSCA pour évaluer la situation sanitaire de différentes maladies. Cette année, elle prévoit d’évaluer les FCO-3, FCO-8 et FCO-12. Cent exploitations détenant des bovins et des ovins seront sélectionnées et analysées. La surveillance aura lieu du 1er décembre au 31 janvier. Nous suivons la situation de près.

Consultez le compte-rendu intégral de la Commission santé du 26 novembre 2024 ici.