Question orale posée à David Clarinval, ministre de l’Emploi, le 10 décembre 2025. Le compte rendu complet de la Commission peut être lu ici.
Ma question :
Monsieur le Ministre,
L’avis rendu par le Conseil d’État sur votre avant-projet de loi relatif au travail de nuit soulève une série de préoccupations majeures.
D’abord, le Conseil d’État rappelle que l’article 8 de la Convention n° 171 de l’Organisation internationale du travail (OIT) impose explicitement l’octroi de compensations pour les prestations nocturnes, et ce pour une période d’au moins sept heures consécutives, conformément à la définition même du travail de nuit donnée par cette convention. Il invite dès lors le gouvernement à adapter son texte pour garantir une pleine conformité aux engagements internationaux de notre pays.
Ensuite, texte prévoit qu’à partir de janvier prochain, seuls les travailleurs déjà en poste conserveraient les primes de nuit, excluant les nouveaux engagés. Cette inégalité de traitement doit, selon le Conseil d’État, être démontrée comme proportionnée à l’objectif poursuivi.
Dans la distribution et les secteurs connexes, une CCT signée par un seul syndicat pourrait instaurer un régime de travail de nuit applicable à tous les travailleurs. Le Conseil d’État considère qu’une telle disposition porte atteinte aux principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination, ainsi qu’aux droits déjà acquis garantis par l’article 23 de la Constitution.
- Quelles modifications comptez-vous apporter pour répondre à ces exigences ?
Je vous remercie pour vos réponses.
La réponse du ministre :
Le Conseil d’État a rendu son avis le 19 septembre sur le projet de loi adopté en première lecture par le Conseil des ministres, contenant diverses dispositions. Les dispositions du projet de loi sur lesquelles des remarques ont été formulées ont été adaptées en tenant compte de l’avis du Conseil d’État.
Ainsi, dans le projet de loi, il est déterminé que, dans le secteur de la distribution et dans des secteurs apparentés, y compris le commerce électronique, la plage horaire entre 23 heures et 6 heures du matin sera désignée comme travail de nuit. En définissant une période de 7 heures consécutives, nous mettons notre projet de loi en conformité avec la Convention 171 relative au travail de nuit de l’Organisation internationale du Travail.
Pour les nouveaux travailleurs qui, à partir du 1er avril 2026, entreront en service auprès d’un employeur dans le secteur de la distribution ou dans des secteurs apparentés, y compris le commerce électronique, les primes et avantages pour les heures allant de 23 heures à 6 heures seront prévues conformément aux dispositions conventionnelles ou réglementaires existantes ou aux conditions de travail, uniquement lorsque des prestations de travail sont effectuées entre 23 heures et 6 heures du matin. Pour les travailleurs qui sont déjà en service chez un employeur du secteur concerné, la garantie du pouvoir d’achat reste d’application et rien ne change. Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à rendre notre marché du travail plus tourné vers l’avenir et à porter notre taux d’emploi à 80 %.
Dans une note préparée par le FOD WASO, il est indiqué que dans le commerce et la distribution, une extension du réseau d’ouverture en soirée entraînerait des effets positifs sur l’emploi, tant dans le commerce électronique que dans le commerce classique. En 2023, on comptait 0,11 % de travailleurs dans le commerce de détail et 1,7 % des travailleurs dans les magasins, à savoir les magasins non alimentaires, NACE 47.9, dont le commerce en ligne représente 0,2 %, selon des chiffres d’Eurostat.
En Allemagne, ce chiffre est de 0,11 %, en Finlande de 0,4 % et aux Pays-Bas de 12,6 %. Si le secteur en Belgique atteignait le niveau des Pays-Bas, cela représenterait environ 8 464 emplois supplémentaires.
Étant donné notre situation, le rôle que nous pouvons jouer dans les chaînes logistiques et nos besoins existants en main-d’œuvre, y compris hautement qualifiée, les analyses comparatives montrent que la Belgique, dans le commerce électronique, peut encore exploiter un potentiel de croissance. L’abolition du régime de travail de nuit n’a pas eu l’effet souhaité. En définissant à nouveau clairement le travail de nuit, nous maintenons la flexibilité existante et nous empêchons les entreprises d’avoir à déplacer une partie de leurs activités vers l’étranger à cause du travail de nuit.
Cette vision est également soutenue par l’avis du Conseil central de l’Économie qui, sur la base des chiffres du Bureau fédéral du Plan, indique qu’il s’agit d’activités essentielles à la création d’emplois dans notre pays, représentant près de 20 000 emplois.
Le gouvernement entend donc prendre les mesures nécessaires pour conserver ces emplois chez nous à l’avenir, au profit de nos entreprises et de nos travailleurs.
En ce qui concerne la définition du secteur de la distribution et des secteurs apparentés, y compris le commerce électronique, il est renvoyé à une définition qui se rapporte au commerce de détail combiné à un réseau de logistique. Sur la base d’informations des partenaires sociaux, cette définition comprend plusieurs commissions paritaires, ainsi que précisément les commissions paritaires suivantes : la commission paritaire auxiliaire pour ouvriers n°110, la commission paritaire du commerce alimentaire n°119, la sous-commission paritaire du commerce du bois n°125.03, la commission paritaire pour le commerce de combustibles n°127, la commission paritaire pour le transport routier et la logistique pour compte de tiers n°140.03, la sous-commission paritaire des électriciens : installation et distribution n°149.01, la sous-commission paritaire pour le commerce du métal n°149.04, la commission paritaire auxiliaire pour employés n°200, la commission paritaire du commerce de détail indépendant n°201, la commission paritaire pour les employés du commerce de détail alimentaire n°202, celle du commerce de détail indépendant n°227, la commission paritaire pour les employés du commerce international, du transport et de la logistique n°226, celle pour les grandes entreprises de vente au détail n°311, et la commission paritaire du grand magasin n°312.
S’ajoutent à cette liste des secteurs qui sont également touchés par la concurrence étrangère. Ces commissions paritaires ont été choisies parce qu’elles sont actuellement pointées comme sensibles à la concurrence dans le rapport trimestriel du Conseil central de l’Économie. La liste sera complétée sur la base d’informations issues de l’arrêté royal relatif au Comité du Travail et de la Concertation de l’ONSS.
Le projet de loi prévoit également que le Conseil central de l’Économie et le Conseil national du Travail donnent un avis avant le 31 mars 2025 sur la définition du secteur de la distribution et des secteurs apparentés, afin de pouvoir adapter cela si nécessaire pour mieux refléter la liste des commissions paritaires.
Enfin, le Conseil d’État note le principe du standstill, selon lequel il ne peut pas y avoir de réduction du niveau de protection prévu à l’article 23 de la Constitution et à l’article 2 de la loi de normalisation.
Le Conseil d’État fait remarquer par ailleurs que le gouvernement fédéral doit encore obtenir un avis de l’auditorat sur l’introduction du travail de nuit. Le gouvernement est d’avis qu’il s’agit d’une observation principale. Ce commentaire juridictionnel ne porte pas sur les éléments de fond, mais sur le respect de la procédure. Les justifications qui ont été données remplissent la procédure. Les chiffres avancés dans les deux paragraphes précédents étayent suffisamment les justifications supplémentaires. Ils ont été récemment validés en Conseil des ministres. Donc, ce n’est pas encore fait, mais voilà l’état de la discussion au moment où je vous parle.
Ma réplique :
Je suis rassurée que le Conseil d’État ait émis un avis sévère sur votre texte, et je vérifierai bien sûr le suivi de vos affirmations, à savoir que ces remarques seront intégrées au texte.
Ce qui continue à me choquer dans tout ce dossier, comme je vous l’ai déjà dit à de nombreuses reprises, c’est qu’on ne vous entend jamais dire, alors que vous êtes ministre de l’Emploi, de quel genre de travail vous voulez doter la Belgique. Jamais on ne vous entend parler des conditions de travail des travailleurs et des travailleuses, du bien-être au travail ou de la façon dont nous pourrions faire en sorte que chacun et chacune ne tombe pas malade au travail. Or vous prétendez vouloir réduire le nombre de malades en Belgique, mais on sait que le travail en Belgique rend malade aujourd’hui. Si chaque travailleur actuellement malade allait se soigner et s’accordait une pause, nous nous retrouverions face à un très grave problème.
Et tous ces sujets sont absents au nom de quoi? Au nom de la sacro-sainte compétitivité. Cette compétitivité qui, en réalité, rime avec nivellement par le bas des conditions de travail et des salaires. Pour qui, pour quoi finalement? Pour dérouler un tapis rouge à Alibaba, à Amazon, à Shein? Est-ce ce que nous voulons? Ou bien voulons-nous soutenir nos petits commerçants, nos petites PME, les petits indépendants des commerces de quartier qui, aujourd’hui, ont du mal à garder la tête hors de l’eau? C’est cela ce qui devrait constituer votre objectif.
Soyons conscients que les jeunes déclarent aujourd’hui que le plus important dans le choix d’un emploi, ce sont en premier lieu les conditions de travail et, en deuxième lieu, les valeurs affichées par l’entreprise, bien avant les conditions salariales. Je pense donc, monsieur le ministre, que vous devez vous mettre en phase avec ce changement sociétal sous peine de rater le coche et de créer des dégâts très importants dans l’ensemble du monde du travail.

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