Interpellation du Ministre Crucke lors de la séance plénière du 13 mars 2025. Retrouvez le compte rendu intégral ici.
Monsieur le ministre,
Désormais les Belges ont pris un abonnement quotidien au catalogue des mauvaises nouvelles. Avec l’Arizona d’une part, le gouvernement bleu pétrole en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles d’autre part, chaque jour de mauvaises nouvelles viennent inonder l’actualité des Belges et bouleverser leur quotidien.
Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, nous avons été stupéfaits de découvrir que l’Arizona projette de fermer vingt gares. La liste de ces gares existait déjà à la table des négociations. Je ne suis pas vraiment étonnée. J’entends des collègues dire que ce n’était pas inscrit dans l’accord de majorité. Néanmoins, un passage de l’accord évoque quand même la possibilité de limiter le nombre d’arrêts de train dans les gares à faible demande.
Rappelons que cela avait déjà été envisagé sous la précédente législature, mais refusé par une majorité du conseil d’administration, après que votre prédécesseur avait exprimé de façon explicite et ferme son opposition à ces fermetures. De même, le contrat de service public de la SNCB prévoit qu’une telle décision ne peut être mise en œuvre sans l’aval du gouvernement. Vous disposez donc, monsieur le ministre, d’un droit de veto pour ce projet de fermeture.
Si cette décision était prise, elle s’inscrirait en contradiction directe avec votre accord de majorité, qui confirme, contrairement à la phrase que je vous ai lue plus tôt, que le train est un maillon essentiel dans un réseau de mobilité durable et efficace. C’est là tout l’intérêt de poser des questions, quand des passages du même texte s’opposent. Il nous dit également que vous vous fixez l’objectif d’une augmentation de 30 % des voyageurs, ainsi qu’une ponctualité supérieure à 90 %, 50 % de nouveaux trains et une réduction de 30 % du nombre de trains supprimés. Le même accord prévoit également que les ressources et personnel nécessaires à la mise en œuvre de cet objectif seront prévus. On observe en outre une volonté de réduire les budgets de 675 millions d’euros sur la législature.
Je ne sais pas si vous êtes alchimiste, mais comment allez-vous parvenir à remplir tous ces objectifs, extrêmement ambitieux, avec moins? Nous attendons de voir.
Monsieur le ministre, fermer des gares, ne pas en ouvrir là où ce serait particulièrement utile pour répondre à la demande – je pense à certains villages, certains quartiers, en région liégeoise notamment, comme à Saint-Léonard, qui se sont fortement densifiés ces dernières années –, ou renoncer aux ambitions en matière d’accessibilité et d’augmentation progressive de l’offre de trains, telles que négociées avec les entreprises ferroviaires et financées par la trajectoire pluriannuelle, ce serait agir à contre-courant de l’histoire et des besoins cruciaux en matière de mobilité, de climat et de sécurité routière.
Inutile de rappeler le nombre de morts sur les routes, le fait que les embouteillages coûtent chaque année plus de 5 milliards d’euros à la Belgique.
Monsieur le ministre, quelle attitude allez-vous prendre par rapport à ce dossier? Vous y opposerez-vous de façon claire? Exigerez-vous de la SNCB qu’elle réponde d’abord à ses obligations contractuelles et qu’elle ouvre de nouveaux points d’arrêt là où cela se justifie? Ou alors, laisserez-vous faire au nom d’une prétendue autonomie de la SNCB?
Réponse du Ministre de la Mobilité, Jean-Luc Crucke (Les Engagés)
Le sujet du transport ferroviaire suscite de nombreuses réactions et inquiétudes. C’est compréhensible. Après tout, il s’agit d’un sujet important qui a des conséquences sur l’aménagement du territoire, la mobilité et la cohésion sociale. C’est pourquoi je souhaite l’aborder de manière rationnelle et, si possible, équilibrée, conformément aux engagements pris par le gouvernement. L’accord de gouvernement stipule que toute modification de l’offre ferroviaire doit s’inscrire dans une approche globale et cohérente, tenant compte de différents critères. Cette approche est d’ailleurs reprise dans le contrat de service public entre l’État et la SNCB, approuvé par la Vivaldi, qui encadre les modifications de l’offre.
Cela a été rappelé à raison par notre collègue d’Ecolo.
L’accord de gouvernement stipule que le gouvernement fédéral confirme le contrat de service public avec la SNCB, le contrat de performance avec Infrabel et les plans d’investissement pluriannuels. La SNCB peut donc initier des projets de modification de l’offre, soit par la fermeture de gares, soit par l’ouverture de nouvelles gares sur base d’analyses coûts-bénéfices, réalisées en collaboration avec le Service public fédéral Mobilité et Transports.
Les critères pris en compte sont notamment le nombre de voyageurs potentiels dans un rayon de deux kilomètres autour de l’arrêt prévu, les projets de densification ou de développement de services susceptibles d’attirer de nouveaux usagers, l’impact en termes de voyageurs gagnés ou perdus par jour et par train, les coûts marginaux d’exploitation et d’investissement, l’impact sur la vitesse commerciale, sur la performance générale du réseau et sur la capacité de la ligne en question, les services de transport alternatifs existants, la distance jusqu’à la gare la plus proche et l’accessibilité de la zone en question par le rail. Il ne s’agit donc pas d’une vision dogmatique des services ferroviaires. Il n’y a pas de tabou ni de fétichisme. Quand on parle de gares, on parle certes de fermetures possibles, mais aussi d’ouvertures possibles.
Mon objectif est d’adapter le réseau aux besoins changeants de la population. Je ne parle donc pas de liste, mais d’efficacité des services.
Ma vision s’appuie sur un écosystème de mobilité dans lequel chaque mode de transport public joue un rôle complémentaire. L’objectif est de permettre aux personnes de se déplacer d’un point A à un point B plus efficacement, quel que soit le mode de transport ou l’opérateur public. Les points d’accès stratégiques au réseau ferroviaire doivent donc être connectés aux autres modes de transport public. Les régions doivent également avoir la possibilité de proposer des bus et d’autres services pour relier ces points névralgiques aux zones environnantes. Je ferai appel à mes collègues régionaux en ce sens lors d’une prochaine Conférence Inter Ministérielle (CIM) Mobilité.
Dans cette réflexion, il faut prendre en compte l’évolution des vitesses techniques et commerciales du rail ces 20 dernières années. J’ai donc demandé à la SNCB et à Infrabel de me fournir des éléments concrets et étayés en ce sens, et de justifier les évolutions constatées. Mon objectif est d’instaurer un réseau ferroviaire à deux niveaux, complémentaires l’un de l’autre, pour irriguer efficacement l’ensemble du territoire. Premièrement, un réseau de trains IC reliant les grands pôles avec peu d’arrêts intermédiaires – des grandes villes et bassins m’ont en effet fait savoir que les liaisons devaient se faire plus rapidement, en termes de vitesse commerciale, j’entends. Deuxièmement, une desserte plus fine de réseau S ou L, permettant un arrêt dans davantage de gares intermédiaires avec des correspondances soignées avec le réseau IC. Toute évolution de la desserte des gares doit s’inscrire dans une concertation avec les autorités régionales et locales. Il est essentiel que les Régions puissent adapter leur offre de transports en conséquence.
Enfin, un effort doit être poursuivi en matière de coordination tarifaire entre les différents opérateurs. Les exemples suisses, mais aussi hollandais, proposent une tarification intermodale sans pénalité en cas de changement de mode de transport. Il s’agit d’une piste intéressante pour encourager une mobilité plus fluide et plus attractive. Elle permet également un partage équitable des recettes supplémentaires, chacun des opérateurs ayant, dans le cadre d’un accord gagnant-gagnant, un intérêt à optimaliser le fonctionnement du transport public et du service au public.
Vous l’avez compris, ma vision ne concerne pas uniquement le rail, mais le transport public dans son ensemble. Car il faut une vue globale des transports publics, et ne pas considérer chacun de ces transports individuellement (train, tram, bus). C’est un engagement de la coalition Arizona de travailler à une coordination plus forte entre les Régions et le niveau fédéral, aussi pour ce qui concerne les différents transports publics. Et le jour où cette coordination sera complète, il sera possible de répondre aux questions de l’efficience en matière de service, de l’efficacité recherchée, et du transport public en mesure de rendre le meilleur service dans une coordination globale.
Je vous confirme donc que s’il n’y a pas de tabou ni de fétichisme par rapport à des études qui devront être complètes et vérifier ce qui existe déjà, l’Arizona n’a en cela strictement rien inventé. La Vivaldi avait approuvé le contrat de service. Si les critères qui sont repris dans le contrat de service permettent de considérer que soit il faut ouvrir, soit il faut fermer certains arrêts, dans la logique que j’ai exposée, c’est évidemment sans tabou que nous travaillerons en collaboration avec les collèges, les communes et les régions.
Sarah Schlitz (Ecolo-Groen): Monsieur le ministre, nous n’avons pas reçu de confirmation de la liste, mais nous partons du principe qu’elle existe. Comme vous le disiez, vous êtes sans tabou. Donc, nous tendons à comprendre que c’est bien ce qui va se passer. Nous aurions toutefois souhaité une réponse plus claire. J’aurais aussi voulu entendre comment vous allez consulter les communes et organiser le travail avec les Régions. Or nous n’avons rien entendu à ce sujet.
Au demeurant, je ne comprends pas très bien la rhétorique sur le « sans tabou ». Nous sommes en train de parler de la vie quotidienne de milliers de personnes qui va être chamboulée par une décision purement budgétaire. Ces gens ont fait des choix de vie concernant la localisation de leur logement, de leur travail, de l’école de leurs enfants en fonction de certaines gares. Et ils découvrent tout à coup dans la presse que la gare autour de laquelle est organisée leur vie familiale va peut-être disparaître. Aucune réponse n’a encore été apportée sur son éventuelle fermeture. Peut-être des personnes qui sont en train de négocier l’achat d’une maison se disent-elles: « Bon, j’y vais ou pas? » Donc, vous pouvez être sans tabou tant que vous le voudrez; ce n’est pas de cela que nous parlons, mais bien de quelque chose de concret qui touche à la vie des gens.
Par ailleurs, une gare qui ferme, c’est de toute façon une mauvaise nouvelle, vu notamment les embouteillages qui coûtent plus de 5 milliards d’euros par an. Vous allez pourtant mettre plus de voitures sur les routes. Et je ne parle même pas de la crise climatique! Or, quand une gare se porte mal, ne faudrait-il pas plutôt se demander comment la faire revivre? Ainsi, les habitants de Sy m’interpellent parce que leur gare pourrait fermer. Il y circule un train toutes les deux heures le week-end. Or plein d’étudiants y prennent le train pour se rendre à l’université et rejoindre leur kot le dimanche soir. En fait, si les trains étaient plus fréquents, ces étudiants ne loueraient peut-être pas de kot. Peut-être habiteraient-ils chez leurs parents, de sorte que leur famille pourrait faire des économies. Or, comme le maillage et la fréquence sont beaucoup trop faibles, ils sont obligés de dépenser davantage encore pour leurs études, alors que nous savons à quel point la précarité des étudiants et de leur famille augmente.
Par ailleurs, je n’ai pas très bien compris le charabia autour du bus et du train. Si votre idée, c’est de remplacer des trains par des bus, je vous le dis tout de suite: arrêtez! Le service n’est pas le même si on prend un bus ou un train. Il est possible de travailler dans un train. Le bus, ce n’est pas la même chose. D’autant plus qu’à partir du moment où on a une gare, des quais et des rails, alors on fait rouler des trains dessus. On ne les remplace pas par des bus qui vont engorger les routes et empirer les embouteillages. Là, on nage en plein délire!
La fermeture d’une gare entraîne l’effondrement de tout un écosystème: les commerces alentour, des appartements, des logements, des écoles. C’est débrancher la prise pour de nombreux secteurs et d’activités gravitant autour de cette gare. C’est une question qui relève en fait éminemment de l’aménagement du territoire et qui doit donc être concertée avec les communes et les Régions. C’est essentiel.
Pour conclure, je pense que vous avez fait beaucoup de promesses pendant la campagne concernant le soutien aux travailleurs et la valorisation du travail. Mais ici, quel coup faites-vous aux travailleurs en leur supprimant leur gare? Comment les gens que vous voulez remettre au travail iront-ils bosser? Ils doivent en plus s’acheter une voiture. Quel signal envoyez-vous à la population en fermant des gares?
Et franchement, je n’ai aucune confiance dans le fait que vous allez ouvrir des gares en parallèle. S’il vous plaît, alors ne faites rien! Maintenez ces gares et n’en ouvrez pas d’autres! Mieux vaut un tiens que deux tu l’auras, en la matière. Je vous remercie.