Question parlementaire à la ministre Van Bossuyt sur le renvoi de prisonniers au Kosovo. Lien vers le compte rendu complet de la commission.

Ma question : 

Madame la ministre, vous êtes partie en mission cet été, avec votre collègue de la Justice Verlinden, en Albanie et au Kosovo pour négocier la possibilité d’envoyer des détenus de nos prisons belges dans un pays qui n’est membre ni de l’Union européenne ni du Conseil de l’Europe. Il s’agit en grande partie d’y envoyer des personnes étrangères, sans garantie de respect de leurs droits fondamentaux.

Madame la ministre, qu’avez-vous retenu de ce voyage? Quels sont les éléments positifs et négatifs? Quels sont les freins que vous avez pu identifier dans ce projet? J’en ai déjà discuté avec la ministre Verlinden en commission avant le voyage. On avait notamment évoqué le fait que le Kosovo n’est pas signataire de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Comment peut-on assurer une politique humaine et digne des ressortissants étrangers en prison au Kosovo?

Par ailleurs, on sait par observation de l’expérience de nos voisins européens que le Danemark, par exemple, débourse déjà 200 millions d’euros par an pour un projet qui n’est pas encore effectif. Comment, dès lors, justifiez-vous, dans le cadre d’un budget particulièrement difficile à boucler, qu’on puisse débourser de tels montants pour un projet qui est particulièrement bancal tant au regard des droits humains que du respect des détenus concernés? En outre, cela représente un manque à gagner pour la Belgique de créer ce projet là-bas plutôt que d’investir ces montants chez nous dans des politiques, notamment de prévention et de réinsertion pour les détenus.

 

La réponse de la ministre :

Chers collègues, le gouvernement actuel a une ambition claire, à savoir augmenter considérablement le nombre de retours de criminels en séjour illégal. Nous ne nous contentons pas de paroles, mais passons à l’action. Nous investissons en effet dans chaque maillon du processus de retour.

Monsieur Vandemaele, il ne s’agit donc pas de gadgets, mais de mesures nécessaires pour lutter notamment contre la surpopulation carcérale, à moins que vous ne souhaitiez minimiser la surpopulation carcérale.

Pour nous, il est toutefois important d’examiner chaque maillon. Le retour des criminels en situation irrégulière est un maillon de ce processus. Il ne s’agit donc pas d’un gadget.

La première action consiste à miser sur la prévention. La mission en Albanie et au Kosovo a été constructive. Nous avons conclu des accords visant à lutter contre l’immigration illégale vers la Belgique et à accélérer les retours vers l’Albanie et le Kosovo. Ainsi, une plate-forme numérique sera mise en place dès cette année, afin de faciliter et de sécuriser l’identification des ressortissants entre la Belgique et l’Albanie. Nous avons également abordé cette question au Kosovo.

La deuxième action concerne la mise en place de procédures rapides et l’organisation du retour. Les personnes sans droit de séjour doivent retourner dans leur pays, volontairement si possible, de force si nécessaire. Nous devons éviter qu’elles se retrouvent dans une zone grise, où la criminalité est souvent la seule issue. C’est pourquoi je renforce mes services, afin que les décisions puissent être prises plus rapidement et que les gens n’aient pas de faux espoirs.

La troisième action concerne la lutte contre la criminalité des personnes sans droit de séjour. Ceux qui séjournent illégalement en Belgique et qui, en plus, choisissent la criminalité, n’ont rien à faire ici. Ces personnes doivent être contraintes de retourner dans leur pays. Afin d’accélérer le retour de ces personnes, nous augmentons le nombre de places dans les centres fermés ; les perquisitions domiciliaires auront également un impact. En outre, nous concluons de nouveaux partenariats avec les pays d’origine, selon le principe « donnant-donnant ». Nous instaurons également une interdiction d’entrée à vie pour les terroristes, renforçons nos services de retour, augmentons le nombre d’escortes et veillons à ce que ceux qui refusent de partir soient éloignés de notre territoire, de préférence volontairement et, si nécessaire, par la force. Le gouvernement opte pour la sécurité, la responsabilité et une politique de retour crédible qui protège nos citoyens.

Le coût estimé fait encore l’objet de négociations. En tout état de cause, un détenu coûte en moyenne 67 000 euros par an en Belgique. Ce coût sera probablement inférieur dans un autre État membre.

En ce qui concerne la suite des discussions sur l’asile et la migration, nous mènerons des discussions techniques de suivi avec les deux pays sur les campagnes d’information, afin que moins de personnes se présentent à notre frontière sans remplir les conditions d’entrée. Entre-temps, nos services continuent à travailler à la mise en service de la plateforme numérique, qui permettra de raccourcir considérablement et de sécuriser l’identification et, par conséquent, le retour.

À la question de savoir si d’autres pays figurent sur la liste, je peux répondre ce qui suit. L’Albanie et le Kosovo ne sont pas les seuls pays sur lesquels le Cedoca a rédigé un rapport.

Monsieur Dubois, c’est sur base de l’avis du Cedoca que ces pays ont été choisis. Le Cedoca a réalisé une étude sur le respect des droits de l’homme dans ces pays. Cette exigence de respect des droits de l’homme figurait très clairement dans l’accord de gouvernement : il faut un État qui respecte l’État de droit. C’est donc sur base de cette étude faite par une agence indépendante que ce choix a été opéré.

Au sein du gouvernement, nous examinons, sur la base du rapport du Cedoca, avec quels autres pays nous allons entamer des discussions similaires. Cela va donc se faire.

Enfin, que faire des personnes qui ont purgé leur peine et ne peuvent être renvoyées ? Cette question fait partie des accords qui doivent être discutés avec le pays concerné. L’objectif est d’organiser autant que possible le retour à partir du pays tiers. Si cela s’avère impossible, le suivi d’un retour ultérieur devra se faire à partir de la Belgique.

 

Ma réplique : 

Madame la ministre, la construction d’une prison au Kosovo ne résoudra en rien le problème de la surpopulation carcérale que nous rencontrons aujourd’hui. Cela va prendre des années et coûter des centaines de millions d’euros aux finances publiques, alors que votre gouvernement n’arrive pas à boucler son budget. En plus, c’est reporter ce choix sur les gouvernements futurs et les générations futures. Je considère donc qu’il est totalement irresponsable, au regard de la situation, d’avancer vers cette solution qui est, par ailleurs, purement symbolique.

 Des solutions existent. Nous en avons mis des tas sur la table sous la précédente législature et encore récemment. Actuellement, des personnes ayant roulé sans permis se trouvent en prison, et je pense que ce n’est pas leur place. Il faut envisager des pistes pour sortir ces personnes de prison et permettre la mise en place de peines alternatives. Ce serait beaucoup plus utile pour la société dans son ensemble, pour lutter contre la récidive et, comme vous le disiez, pour les finances publiques, auxquelles ces personnes coûtent 67 000 euros par détenu et par an. Ce sont des montants que nous ne pouvons plus nous permettre. C’est un immense gâchis. Il faut évidemment agir en amont, par la prévention, et lutter contre l’insécurité. Il faut faire en sorte que les personnes ne tombent pas dans certains réseaux et ne se retrouvent finalement pas en prison. Il y a évidemment un travail à mener de ce côté-là.

 Par ailleurs, en ce qui concerne les garanties des droits fondamentaux, je ne vous ai pas entendue, à part sur le fait que le Cedoca, le service de documentation du CGRA, a rendu un rapport. Je serais curieuse de lire si le contenu de ce rapport est si élogieux que cela sur le respect des droits humains, sur les conditions de détention et les garanties procédurales au Kosovo. S’il est possible d’obtenir ce rapport, je pense qu’il serait utile que la commission y ait accès. Je vous remercie.