Question orale posée le 23 septembre au Ministre du Climat Jean-Luc-Crucke, compte rendu intégral à retrouver ici.

Monsieur le Ministre,

Depuis maintenant plusieurs années, la question des per- et polyfluoroalkylées, appelées PFAS ou polluants éternels, suscite une inquiétude grandissante dans notre pays et ailleurs en Europe.

Presse, études, journaux ne cessent de nous le rappeler : la progression inquiétante du TFA – un type de polluant éternel, dans nos eaux continue, car nous continuons d’utiliser des pesticides à base de PFAS qui se métabolisent en TFA. Ces « polluants éternels », qui regroupent plusieurs dizaine de milliers de substances chimiques synthétiques, sont utilisés dans de nombreux produits du quotidien (qu’il s’agisse d’emballages alimentaires, de textiles imperméables, d’ustensiles de cuisine, de mousses anti-incendie etc) bien que leur persistance extrême dans l’environnement et dans l’organisme humain est désormais largement documentée. Les effets sanitaires sont dramatiques : plusieurs études scientifiques associent une exposition prolongée à un risque accru de cancers, de troubles hormonaux, d’atteintes immunitaires et de problèmes de fertilité.

Dans ce contexte, il apparaît de plus en plus évident que la simple gestion au cas par cas ou la réduction progressive des usages ne suffisent pas. La dynamique européenne va d’ailleurs dans ce sens, puisqu’une proposition de restriction universelle de l’usage des PFAS a été déposée à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) . Cet été en France, ce sont plus de 2 millions de personnes qui se sont opposées à la “Loi Duplomb”, texte qui visait à réintroduire un pesticide pourtant interdit depuis 2018. Chez nous, ce même produit demeure encore utilisé, et nous figurons tristement dans le top 5 des pays qui utilisent le plus de pesticides en Europe. Une pétition d’Ecolo a déjà été signée par plus de 30 000 personnes et d’autres pétitions issues de la société civile ont fait le tour de la Belgique, et sont le témoin de l’importance des sujets de santé-environnement pour nombreux de nos concitoyens.

Mon groupe politique se mobilise déjà en ce sens, et continue d’alerter. Nous avons en effet déposé deux propositions de loi à cet égard, l’une visant à interdire la mise sur le marché et l’exportation de pesticides à base de PFAS, et l’autre visant à interdire la mise sur le marché et l’exportation de divers produits contenant des substances per- et polyfluoroalkylées. Comme ça a été rappelé lors des auditions, nous sommes déjà le pays le plus touché au niveau européen en termes de sites pollués. Et pendant ce temps là, on continue littéralement d’asperger des PFAS sur nos cultures alors que nous savons que ce sont des polluants éternels dont il sera extrêmement coûteux de se débarrasser.

Dès lors, j’aurais souhaité connaître votre position à plusieurs égards :

  • Étant donné les nombreuses études qui attestent de la dangerosité des ces produits, et qu’elle ne peut être niée, quelles mesures immédiates envisagez-vous afin de limiter l’exposition de la population belge aux PFAS, notamment dans l’eau potable et les sols contaminés, au niveau fédéral ? Quand allons nous enfin fermer les robinets à la source, sans devoir attendre les décisions au niveau européen qui ne seront pas effectives avant 2030 ? Allons-nous oser, en tant que premier pays victime, être pionnier sur ces enjeux comme ont déjà pu l’être la France et le Danemark ?
  • Au regard des exigences en matière de santé et d’environnement, que fait le Gouvernement pour soutenir proactivement au niveau européen, la proposition de restriction générale des PFAS ?
  • Le Gouvernement est-il prêt à s’engager dans un calendrier clair pour interdire la mise sur le marché national des produits non essentiels contenant des PFAS, et à accompagner les secteurs industriels et agricoles vers des alternatives plus sûres ?

Par avance, je vous remercie.

Réponse du ministre Crucke : 

Chers collègues,

Le signal me semble clair : des pétitions, des initiatives parlementaires et communales et, surtout, des situations locales très concrètes à Zwijndrecht, Chièvres, Ronquières, Nandrin, Florennes, Braine-le-Château et Uccle ont placé les PFAS au cœur des préoccupations.

En Flandre, des analyses indiquent qu’environ un échantillon d’eau potable sur six ne satisfait pas aux normes les plus exigeantes relatives aux PFAS. Par endroit, des recommandations ont même déconseillé de consommer des légumes, des œufs ou des fruits du potager. Des messages officiels ont par ailleurs appelé à ne pas boire l’eau du robinet.

Je prends donc cette situation très au sérieux. Nous devons agir et nous ne pouvons pas rester sourds à ces appels lancés par nos concitoyens, parce que ces substances sont dites éternelles pour les générations futures.

La Belgique adopte une position cohérente et responsable, comme indiqué dans notre accord de gouvernement. Nous proposons une élimination progressive des PFAS au niveau européen, avec des exceptions strictes pour les applications vraiment essentielles, des conditions strictes pour les émissions et les rejets, et un calendrier différencié en fonction de l’importance et de la réglementation applicable. Cette position est élaborée au sein du comité REACH belge, où un consensus est systématiquement recherché entre les autorités fédérales et régionales.

Au niveau européen, une restriction REACH est encore à négocier. Le calendrier reste incertain. Le 27 août 2025, l’Agence européenne des produits chimiques a précisé son agenda. D’ici à la fin 2025, les comités scientifiques clôtureront leurs premières évaluations de la proposition initiale de restriction universelle des PFAS. S’ensuivra alors une consultation publique lors du premier semestre 2026, avec une soumission de leur opinion définitive d’ici fin 2026 à la Commission européenne. Celle-ci devrait alors soumettre au comité REACH, rassemblant toutes les autorités nationales compétentes, une proposition de restriction en 2027. Au vu de la complexité du dossier, nous pourrions envisager au plus tôt une entrée en vigueur en 2030.

Nous attendons donc la proposition de la Commission européenne afin d’affiner notre position qui, comme indiqué, sera discutée et consolidée au niveau de comité REACH belge. C’est d’ailleurs à cet égard que j’ai demandé à rencontrer, la semaine passée, la commissaire européenne, Mme Roswall, pour connaître plus précisément son calendrier et défendre une approche à la fois rapide et pragmatique. Nous partageons le constat d’urgence. La commissaire a d’ailleurs confirmé mettre tout en œuvre pour accélérer le processus.

Dans le cadre de son plan d’action pour l’industrie chimique, la Commission a également confirmé le lancement d’initiatives spécifiques sur les PFAS, notamment le développement de pôles d’innovation, et un travail sur les centres de substitution, que notre administration et le SPF Économie suivent de près. L’Europe demeure le niveau adéquat pour une interdiction robuste et uniforme, et j’ai garanti à la commissaire européenne Mme Roswall mon appui et mon soutien dans la démarche qu’elle effectue et les intentions qu’elle m’a exprimées.

Au-delà de cette interdiction progressive nécessaire, car je m’inquiète parfois aussi du calendrier, je souhaite saisir cette opportunité en vue de préparer notre propre transition vers des usages sans PFAS. C’est le sens du mandat que j’ai confié à mon administration : examiner de manière structurée l’éventail des options nationales. Cette analyse recensera les principales catégories de produits concernés, appréciera la disponibilité des alternatives et estimera les impacts potentiels, tant économiques que sanitaires et environnementaux.

Je le répète, je reste un partisan d’une interdiction européenne uniformisée qui a l’avantage de garantir des conditions de concurrence équitable. En cas de retards conséquents, je veux être en mesure d’opposer des mesures nationales, y compris si elles se révèlent juridiquement, économiquement et techniquement fondées, une interdiction ciblée au niveau belge. D’autres instruments plus incitatifs, comme la transparence et la traçabilité sont aussi examinés. J’ouvrirai en parallèle un dialogue régulier avec l’industrie, les assureurs, le monde académique et la société civile pour co-construire une trajectoire sûre et durable dès la conception sans PFAS.

Je tiens à souligner que notre administration n’attend pas pour agir. Le projet Belgium Builds Back Circular, coordonné par mon administration et le SPF Économie, mobilise des fonds européens de relance pour soutenir le remplacement des PFAS et d’autres substances préoccupantes. Ce projet vise notamment à développer des alternatives crédibles et industrialisables. En collaboration avec nos collègues des régions, nous étudions également la faisabilité d’un mécanisme de financement visant à lutter contre les conséquences de la pollution par les PFAS et à soutenir l’innovation. Sur le plan réglementaire, la Belgique a également contribué activement à l’interdiction européenne des PFAS dans les mousses extinctrices, qui sera intégrée cette année dans le règlement REACH. Nous participons également au partenariat européen PARC, qui a publié en juillet une première version de la Safe and Sustainable by Design Toolbox, destinée à orienter les choix en matière de substitution à la source.

Il est impératif de construire une trajectoire d’une transition sans PFAS. Cette trajectoire doit se construire avec tous les niveaux de pouvoir. Au sein du Comité de coordination de la politique internationale de l’environnement (CCPIE), un groupe de travail réunit des experts fédéraux et régionaux. Mon administration y assure non seulement une participation active mais aussi de pilotage. Elle contribue également aux travaux de la Région flamande sur les substances préoccupantes. Cette collaboration entre fédéral, Régions et partenaires démontre que nous pouvons et savons coordonner et exécuter ensemble. Je m’inscris pleinement dans cette méthode de gouvernance.

Cette notion a d’ailleurs encore été évoquée pas plus tard qu’hier en Conférence interministérielle (mixte) de l’Environnement et de la Santé (CIMES) avec les experts et les représentants des ministres des gouvernements régionaux ainsi que mon collègue de la Santé du fédéral. Dans ce réseau est aussi discutée la faisabilité juridico-administrative de la mise en place d’un fonds PFAS. Une étude est en cours et un état des lieux devrait aboutir d’ici la fin de l’année.

Je vous confirme l’engagement du gouvernement, selon lequel nous mettrons tout en œuvre afin d’opérationnaliser le fonds PFAS, qui devra notamment être financé par le secteur à titre d’indemnisation des dégâts et des victimes de la pollution par les PFAS. Cette étude nous permettra également d’identifier des pistes pour déterminer qui devrait contribuer à ce fonds PFAS, les recettes à prévoir et les dépenses admissibles.

Je voudrais enfin dire un mot sur les initiatives parlementaires et communales. Je les accueille comme des signaux utiles. Elles témoignent d’une prise de conscience, d’une attente forte. La Chambre est le bon lieu pour ce débat. La première étape d’une transition réussie, c’est d’ouvrir l’espace de dialogue, de croiser les expertises et de confronter les options avec transparence. La thématique des pesticides PFAS doit également être abordée et je ne peux que vous conseiller de solliciter le ministre de l’Agriculture à ce sujet.

Mesdames et messieurs les députés, nous avons le devoir d’apporter des réponses calmes, précises, coordonnées et efficaces à notre inquiétude légitime. En agissant aujourd’hui de façon mesurée mais résolue, nous protégeons la santé publique et l’environnement, nous préservons la confiance et nous plaçons la Belgique parmi les pionniers d’une société enfin libérée des PFAS.

Et pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur les thèmes, j’ai effectivement parlé d’une proposition que je ferai au gouvernement dans le cadre de ce dossier PFAS. Je n’ai pas parlé d’une proposition de loi, qui ne peut être déposée que par un parlementaire et pas par un ministre, sinon ce serait un projet. La proposition, telle que vous la retrouvez dans ma réponse de ce jour, est de disposer de l’ensemble de ces études, entreprendre une action telle qu’elle doit pouvoir être développée avec l’administration, avec les milieux d’entreprise et les milieux citoyens. Bref, disposer d’une ligne qui nous permet d’avancer dans le temps au cas où l’Europe ne devrait pas réagir. Mais je ne veux pas faire de procès d’intention à la commissaire que j’ai rencontrée et qui m’a semblé d’un volontarisme exemplaire.

Ma réplique:

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse.

Je prends bonne note de votre engagement. Vous me permettrez de douter de la facilité à avancer de manière volontariste sur ce dossier au vu de la position de moins en moins cachée de vos collègues, en particulier du ministre de l’Agriculture qui se montre maintenant ouvertement climatosceptique étant donné que le contexte le lui permet. En effet, il y a quelques années, il fallait un peu plus se cacher pour pouvoir adopter ce genre de position. Aujourd’hui, les masques tombent et, pour connaître depuis longtemps les positions du ministre Clarinval sur les questions d’agriculture et d’AFSCA, je sais à quel point c’est un énorme défenseur des pesticides. Je vous souhaite dès lors, monsieur le ministre, bien du courage dans cette opération. Cela ne va pas être simple.

Pourtant, comme je le disais, nous sommes un des pays les plus exposés et la santé de millions de concitoyens en dépend. Or il y a des solutions de remplacement, d’autant plus que certains des PFAS contenus dans les pesticides ne sont utilisés que depuis quelques années, parfois depuis moins de vingt ans. Cela signifie qu’auparavant, on savait produire sans les utiliser. En outre, des alternatives en matière d’agriculture biologique permettent d’obtenir des résultats. On le voit en France ainsi que dans d’autres pays. C’est donc possible, il est grand temps de miser sur ces alternatives. Il en va de la santé des Belges.

Nous continuerons donc, évidemment, à porter nos deux propositions de loi sur le sujet. J’espère que vous pourrez venir avec un texte dans les prochaines semaines.