Question posée en commission des affaires sociales à Franck Vandenbroucke, le 8/7/2025. 

Voici le compte rendu complet de la commission. 

Monsieur le ministre, l’accord de gouvernement prévoit qu’un emploi dans l’économie sociale – notamment en entreprise de travail adapté (ETA) – pourra être proposé aux personnes dont le “handicap professionnel” est reconnu, après expiration de leurs droits au chômage.

Cette mesure s’accompagne, selon vos dernières communications, d’une enveloppe fédérale de 50 millions d’euros en 2026, 50 millions en 2027, puis 25 millions en 2028 et 2029. Elle viserait spécifiquement la création de 1 500 places supplémentaires en ETA.

Cela appelle plusieurs clarifications :

Sur les moyens : 

  • Vous aviez prévu initialement 25 millions à partir de 2027. Les 100 millions supplémentaires (2026-2029) sont-ils bien nouveaux, et non redéployés?
  • La création de 1 500 places correspond à environ 66 000 euros/place sur 4 ans: ce montant couvre-t-il les coûts réels d’une insertion durable? Que doit-il financer précisément?
  • Avez-vous estimé combien de personnes pourraient perdre leurs droits au chômage et relever de l’économie sociale? Quelle part du besoin ces 1 500 places représentent-elles?

Sur le ciblage : 

  • La notion de “handicap professionnel reconnu” reste juridiquement floue. Couvre-t-elle:
    • uniquement les personnes reconnues handicapées par l’AViQ, le PHARE ou le VAPH?
    • ou aussi des personnes éloignées du marché du travail avec des limitations mais sans reconnaissance formelle?
  • Qui établira cette reconnaissance, et sur quelle base?

 

Sur l’articulation avec les Régions : 

  • Le développement de l’économie sociale relève des Régions, qui reconnaissent et financent les structures. Chaque territoire a ses spécificités. Les moyens prévus doivent donc concerner l’ensemble des dispositifs d’insertion socioprofessionnelle – y compris, mais pas seulement, les ETA.
  • Pouvez-vous préciser:
    • si l’enveloppe pourra soutenir toutes les structures d’insertion reconnues régionalement?
    • comment seront répartis les moyens entre Régions, quels seront les critères d’éligibilité, et les modalités de concertation avec les ministres régionaux?

 

Sur le calendrier : 

  • Des personnes perdront leurs allocations dès janvier 2026. Or, les financements, transferts éventuels et appels à projets ne semblent pas stabilisés.
  • Pouvez-vous garantir que les crédits 2026 seront mobilisables dès janvier, pour permettre aux Régions d’anticiper?

 

réponse de Frank Vandenbroucke, ministre

Chère collègue, le Conseil des ministres restreint a décidé d’avancer et de renforcer l’impulsion fédérale en faveur de l’économie sociale, qui, selon l’accord de gouvernement, était prévue à hauteur de 25 millions d’euros par an à partir de 2027, pour atteindre 50 millions d’euros par an à partir de 2028. 

De cette manière, une partie des chômeurs de longue durée, dont le droit aux allocations de chômage prendra fin à partir de l’année prochaine et qui risquent de rencontrer de grandes difficultés à trouver un emploi sur le marché du travail régulier en raison de problèmes psychologiques ou physiques, se verront offrir la solution la plus appropriée: la possibilité de se consacrer à un travail socialement utile, adapté à leurs capacités et offrant l’encadrement et l’accompagnement nécessaires. 

Dans la répartition des compétences selon la loi spéciale de réformes institutionnelles, les Régions sont compétentes en ce qui concerne les programmes de remise au travail des demandeurs d’emploi inoccupés, en ce compris en matière d’économie sociale. Cependant, la division des compétences prévoit aussi que le niveau fédéral reste compétent pour les règles relatives à l’intervention financière pour la mise au travail des travailleurs handicapés octroyée aux employeurs occupant des handicapés.

L’instrument approprié pour la contribution fédérale à la création d’emplois supplémentaires dans les entreprises d’économie sociale, c’est-à-dire des ateliers protégés et sociaux et des entreprises de travail adapté, est un renforcement du Maribel social pour les trois fonds directement concernés: les fonds des commissions paritaires 327.01, 327.02 et 327.03, à savoir respectivement le fonds flamand, le fonds wallon et le fonds bruxellois pour les ateliers protégés et les entreprises de travail adapté.

Dans les grandes lignes, il y a deux possibilités. 

Dans la première option, les moyens supplémentaires versés à ces trois fonds sont directement affectés à la création d’emplois supplémentaires. C’est l’essence même du Maribel social. Dans ce cas, les gestionnaires des fonds fixent dans une convention collective de travail le niveau de l’intervention par emploi supplémentaire et la répartition entre les emplois de production, donc les travailleurs du groupe cible, et les emplois d’encadrement, ceux qui accompagnent et encadrent. L’orientation des travailleurs devrait, en tout état de cause, être assurée par les services régionaux de l’emploi. Il s’agit d’emplois Maribel social, mais dans le cadre de l’économie sociale.

La deuxième option est la suivante. Nous optons pour une piste qui corresponde davantage aux techniques existantes de l’économie sociale développée par les Régions, par dérogation à la règle générale du Maribel social qui édicte que des moyens doivent être intégralement affectés à la création d’emplois. L’arrêté royal du 18 juillet 2002 prévoit qu’une partie (actuellement, de l’ordre de 56 %) des dotations des fonds précités peut être affectée à une intervention salariale pour les emplois existants. Le montant de cette intervention par emploi pourra être augmenté. Les Régions pourraient réduire leur intervention proportionnellement. Les moyens ainsi libérés permettraient aux Régions de renforcer leur trajectoire de croissance en matière d’économie sociale et de créer des emplois, conformément à leurs pratiques et règles en vigueur relativement à l’organisation et au financement de l’économie sociale – par exemple, les subventions salariales et les subventions d’encadrement. Il existe des exemples anciens pour ces deux pistes possibles.

En collaboration avec le ministre de l’Emploi David Clarinval et nos administrations respectives, nous examinons actuellement les avantages et inconvénients de chacune de ces pistes. Nous en discuterons ensuite plus en détail avec les ministres régionaux directement concernés et, bien sûr, avec les partenaires sociaux du secteur, qui sont également gestionnaires des fonds susmentionnés. En effet, quelle que soit la piste retenue, et c’est logique dans le cadre de la répartition des compétences, une bonne coopération et un engagement commun avec les Régions sont essentiels pour atteindre l’objectif.

Ce qui compte pour moi, tout comme pour mon collègue David Clarinval, c’est que nous recevions les garanties nécessaires que, quelle que soit la piste choisie, les moyens supplémentaires seront intégralement consacrés à la création d’emplois; avant tout pour les travailleurs des groupes cibles, mais également pour assurer un encadrement et un accompagnement suffisants afin de garantir un emploi durable, ainsi que la transition vers le marché du travail régulier.

Étant donné que le ministre de l’Emploi et moi-même souhaitons d’abord nous concerter de manière approfondie dans les prochains jours sur les options que nous souhaitons présenter aux Régions, vous comprendrez que je ne souhaite pas anticiper sur les modalités concrètes à ce stade. Celles-ci seront le résultat de cette concertation.

Réplique de Sarah Schlitz 

Monsieur le ministre, je vous remercie pour tous ces éléments. J’entends que vous êtes encore dans  des étapes de travail; j’ai l’impression que le calendrier est fort serré par rapport à l’exclusion d’une première vague de personnes au 1er janvier 2026. Quand je connais les lourdeurs administratives et la longueur que peuvent parfois prendre certaines mises en place d’appels à projets ou d’autres financements, je me permets d’émettre certains doutes sur la possibilité de rendre effective la création de ces emplois pour le 1er janvier 2026, en sachant que les personnes perdront leurs allocations à cette date. Comment va-t-on faire en sorte qu’il n’y ait pas de rupture pour ces personnes-là? Elles ne vont certainement pas, via ces fonds, trouver un emploi au 1er janvier 2026. Devront-elles quand même s’adresser au CPAS à un moment donné pour avoir un soutien et ensuite glisser vers ces jobs-là?

J’ai l’impression que nous sommes à nouveau dans une temporalité qui est rapide au niveau des sanctions et des économies mais que, par contre, quand il s’agit de trouver des solutions qui permettent aux personnes de retomber sur leurs pattes, on est plutôt dans une seconde priorité.

Il est en effet essentiel que cela se passe en concertation avec les Régions. Sachez, monsieur le ministre, que les Régions, ou en tout cas la Région wallonne, en ce moment même, est en train de couper dans certaines structures d’insertion socioprofessionnelle qui travaillent avec des chômeurs de longue durée. Les Centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP) ont un taux de résultat de 50 %; donc un chômeur de longue durée sur deux qui passe par cette structure retrouve un emploi à travers un trajet de reprise de confiance en soi, de reprise d’une formation, de recherche de compétences. Pourtant, aujourd’hui, ces structures sont mises en difficultés par des coupes et des suppressions d’index. Je trouve que c’est assez inquiétant qu’une enveloppe fédérale va venir potentiellement boucher les trous à cause d’économies qui sont réalisées au niveau des Régions. Pour le moment, ces structures sont plutôt en train de licencier que de recruter pour pouvoir faire face à l’exclusion des chômeurs au 1er janvier 2026. Une très bonne coordination entre les différents niveaux de pouvoir est fondamentale pour aborder la question de cette enveloppe mais aussi d’autres aspects, dont ceux que je viens d’évoquer. Nous continuerons donc à poser des questions à la rentrée.