Question orale posée le 1 octobre 2025 au Ministre Clarinval. Le compte rendu intégral de la commission peut se trouver ici.
Monsieur le Ministre,
Une étude anglaise, publiée dans ERJ Open Research s’est penchée sur les conséquences du travail de nuit sur la santé des femmes.
Résultat : les femmes effectuant exclusivement des nuits ont un risque 50 % plus élevé d’asthme modéré à sévère que les femmes travaillant de jour. Ce sur-risque n’est pas observé chez les hommes, quel que soit leur horaire de travail.
Chez les femmes ménopausées sans traitement hormonal de substitution, le risque est presque doublé.
Monsieur le Ministre, votre Gouvernement a décidé d’intensifier le travail de nuit en l’étendant à tous les secteurs.
- Quelles politiques de prévention vont être mises en place ?
- Les employeurs seront-ils responsabilisés?
- Une personne ménopausée au chômage sera-t-elle forcée d’accepter un travail de nuit au risque d’être sanctionnée si elle refuse?
- Les impacts de cette réforme sur la santé de la population seront-ils monitorés
Par ailleurs, de manière plus générale, vous avez décidé de réduire l’application des primes de nuit au travail effectué entre minuit et 5 h du matin, alors qu’actuellement, ces primes sont dues pour tout travail effectué de 20 h à 6 h du matin. Je vous entends dire que c’est faux, de sorte que je me réjouis d’entendre votre réponse, monsieur le ministre.
Cette réforme concernait initialement 10 commissions paritaires. J’entends que vous retirez encore cinq commissions paritaires, à savoir les commissions ouvrières. Il ne resterait donc aujourd’hui que les commissions paritaires 201, 202, 226, 311 et 312, qui couvrent le commerce de détail alimentaire, la logistique, les grandes enseignes de vente au détail et les grands magasins. Confirmez-vous cette information ?
Si nous ne pouvons que nous réjouir pour les commissions paritaires épargnées, nos inquiétudes restent entières pour les cinq restantes. Pour nous – et les syndicats le soulignent également – cette réforme initie une baisse de revenus pour les travailleurs, alors même que ces primes constituent une compensation équitable pour des conditions de travail reconnues comme pénibles, nocives pour la santé et compliquant la conciliation avec la vie de famille.
Cette politique pose également une question de cohérence par rapport à l’engagement du gouvernement de récompenser ceux qui travaillent. Dans les faits, nous constatons que vous allez réduire le pouvoir d’achat des travailleurs de nuit.
Vous avez rappelé que la réforme ne s’appliquerait qu’aux nouveaux contrats et qu’aucun travailleur en place aujourd’hui ne verrait sa prime diminuée. Nous vous croyons sur parole. Mais que vous nous précisiez pour quoi que ce soit les salaires de travail de nuit ont été réduits, car le rapport de force est rarement plus défavorable que lorsqu’un travailleur est au chômage ou précaire. Les employeurs auront tout intérêt à remplacer le plus vite possible les travailleurs actuels par de nouveaux, dès lors moins chers, voire à faire en sorte que les travailleurs entretiennent entre eux des conditions salariales inéquitables.
Monsieur le ministre, quelles sont les motivations qui ont conduit au retrait des commissions paritaires ouvrières du projet de réforme ? Ce retrait résulte-t-il d’un choix politique ou correspond-il à un ajustement lié au processus de concertation sociale ? Le périmètre des commissions soumises finalement à cette réforme est-il considéré comme définitif, ou est-il encore susceptible d’évoluer, notamment suite aux avis du Conseil d’État, du Conseil national du Travail (CNT) ou du Conseil Central de l’Économie (CCE) ?
Comment le gouvernement justifie-t-il la cohérence entre les objectifs affirmés de valoriser le travail de nuit et de traitement encore inéquitables entre anciens et nouveaux contrats, risque de fragiliser encore davantage la position des travailleurs de nuit et de renforcer un rapport de force défavorable entre eux ?
Réponse du ministre:
Je vous remercie évidemment pour toutes les questions. Permettez-moi tout d’abord de clarifier certains éléments concernant la question de la suppression de l’interdiction du travail de nuit, une mesure qui est actuellement en cours de préparation.
Il est exact qu’aujourd’hui, la loi sur le travail dispose que le travail de nuit est interdit. Dans le même temps, cette loi prévoit que des dérogations à cette interdiction sont possibles. Et elle énumère pas moins de 22 secteurs d’activité dans lesquels le travail de nuit est déjà autorisé. Ce sont, par exemple, l’horeca, les soins de santé ou les taxis.
Chers collègues, ce sont là des exceptions à l’interdiction du travail de nuit qui sont déjà en vigueur aujourd’hui et que nous trouvons toutes évidemment normales, mais pour lesquelles il avait fallu par le passé mettre en place des procédures lourdes pour les autoriser.
C’est pourquoi le gouvernement veut s’atteler à la suppression de l’interdiction du travail de nuit et définir clairement ce qu’est le travail de nuit dans les différents secteurs, en particulier le secteur de la distribution et les secteurs connexes, y compris l’e-commerce, des secteurs qui souffrent aujourd’hui fortement de la concurrence des pays voisins. Dans l’e-commerce, le travail de nuit commencera à minuit et se terminera à 5 heures. Nous nous plaçons ainsi sur la même ligne que les Pays-Bas.
Le régime actuel est donc tourné vers une compensation légitime pour des travailleurs qui assument la continuité du service essentiel au maintien de l’emploi en Belgique. Supprimer entièrement cette disposition, comme proposé, reviendrait à un choc économique brutal. Cela pèserait énormément sur le marché, en particulier dans des métiers pénibles et renforçant la délocalisation d’activités vers des pays voisins où des dispositifs comparables existent déjà. L’impact sur les personnes concernées et leurs familles serait sévère économiquement et socialement. Le risque d’effets renégats pour l’État qui pourrait en découler n’est pas neutre. La proposition aurait ainsi un effet incitatif négatif pour les entreprises, mais aussi un effet négatif complet sur les travailleurs de nuit dans le régime général.
Notre objectif n’est pas d’encourager le travail de nuit ou de minimiser les conséquences néfastes en matière de santé ou de coûts financiers. C’est pourquoi un régime de compensation spécifique est proposé afin de maintenir une forme de protection pour un nombre limité de travailleurs. Nous allons protéger ce régime et garantir que le travail de nuit est sûr et équitable pour les travailleurs.
En ce qui concerne les comités pour le travail de nuit, l’accord du gouvernement prévoit expressément que nous pouvons réintégrer ceux qui présentent des spécificités sectorielles. Je vous rappelle aussi que pour pouvoir adapter un arrêté, nous devons être d’accord avec le Conseil national du Travail et le Conseil central de l’économie. Je m’attends à ce que l’avis soit favorable pour que ce projet de réforme tienne la route. Il faut que l’on protège en priorité les secteurs où les changements pourraient faire très mal.
Dans la phase de transition vers le travail de nuit réel et en vigueur, la procédure d’autorisation reste ce qu’elle est pour les autres secteurs, même si une simplification est demandée. Le gouvernement suivra l’application des arrêtés concernés, y compris via l’inspection du travail, en évaluant avec les partenaires sociaux. Aujourd’hui, je peux déjà vous confirmer que les comités 119 et 140 sont soumis à la nouvelle définition du travail de nuit et percevront une prime correspondante.
Une idée réforme dans le secteur de la distribution et les secteurs connexes se fonde sur la nécessité de rétablir la compétitivité de ces entreprises belges et vise à maintenir les emplois. Pour de nombreux secteurs connexes, y compris la logistique, cela ne met pas à par rapport aux pratiques des pays voisins.
En outre, et corollairement, il est important de souligner que le gouvernement veille à maintenir une prime légitime. Pour les entreprises et les employeurs, il faudra plus de flexibilité, mais également plus de responsabilité dans l’octroi de ces primes. Il s’agit d’encourager la création d’emplois dans les secteurs précités, et de continuer ainsi à renforcer les emplois de qualité sur tout le territoire, y compris en Belgique à 4 h du matin.
Un rapport récent du CCE atteste d’une part de la croissance de l’emploi dans le secteur de la distribution et de la distribution connectée entre 1997 et 2022, l’emploi y a progressé de 8,7 %.
La croissance de l’emploi dans ce secteur est toutefois nettement inférieure à celle enregistrée en Belgique sur la même période, de l’ordre de 15 à 20 %.
Selon une étude de Comeos, seuls 7 % des colis sont livrés en Belgique après minuit, contre 15 % en Allemagne et 20 % aux Pays-Bas. La réforme vise à combler ce retard, en instaurant des règles claires et justes pour tous les travailleurs.
En ce qui concerne la définition des sous-secteurs et des comités, notamment 119 transport routier et 140 logistique pour le compte de tiers, il est vrai qu’ils ont leur place dans la liste. Nous avons déjà reçu la confirmation des partenaires sociaux et l’avis du Conseil national du travail et du Conseil central de l’économie. Nous allons objectiver cette réforme tout en continuant à protéger la santé et la capacité de travail des travailleurs. L’objectif est de préserver l’emploi dans ces secteurs. Dès lors que l’on veut aller plus loin dans l’analyse, il me semble que les comités paritaires 119 et 140, respectivement pour le transport routier et la logistique pour le compte de tiers, ont également leur place dans cette liste.
Ma réplique :
Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos réponses.
Vous évoquez souvent la compétitivité comme le moteur principal de cette réforme. Or, ce qui transparaît de votre discours, c’est un nivellement par le bas des salaires et des conditions de travail, pour correspondre à des standards moins exigeants pratiqués ailleurs.
Au sein de l’Union européenne – cette Europe dans laquelle nous devrions renforcer notre coopération en matière de migration – ne serait-il pas temps d’avoir une discussion sur les conditions de travail et la qualité des emplois, notamment avec nos partenaires des Pays-Bas et de la France, plutôt que de niveler par le bas des salaires et des conditions de travail de travailleurs qui ont déjà un pouvoir d’achat réduit dans notre pays ? Je crains que votre réforme du monde du travail ait pour seul objectif une course après des pays moins-disant.
J’entends dire que le recours au travail de nuit dans le cadre de cette réforme serait fondé sur le volontariat. Vous le confirmez d’ailleurs : une personne au chômage qui refuse un emploi de nuit ne sera pas sanctionnée. Mais vous évoquez également le caractère « indispensable » du travail de nuit pour certains secteurs. Quelle est la définition de ce terme ? Existe-t-il une liste limitative, exhaustive des métiers ou des missions considérées comme indispensables au bon fonctionnement d’un secteur ? À partir de quand estime-t-on qu’un emploi de nuit est indispensable ? Dans le secteur de la santé, évidemment, nul ne contestera que le travail de nuit est indispensable, mais cela ne fait-il pas déjà partie des horaires de ce secteur ? S’agit-il de se faire livrer une chaîne Hi-Fi à minuit ? Est-ce cela, pour vous, l’indispensable ? Ce flou persiste et nous inquiète.
Lorsque vous affirmez qu’il n’y aura pas de perte de salaire pour les travailleurs déjà actifs, nous vous entendons. En revanche, pour les nouveaux entrants, le nouveau régime modifie la période pour dire que la prime pour travail de nuit ne pourrait être due qu’entre minuit et 5 h et non plus entre 20 h et 6 h comme c’était le cas. Dès lors, en quoi consiste précisément ce filet ? Est-ce cela qui est juste ?
Trop de flou subsiste encore en la matière, raison pour laquelle nous continuerons à vous interroger sur le sujet.