Question posée le 11 juin 2025

Madame la Ministre Van Bossuyt,

La Commission européenne vient de déposer une nouvelle proposition visant à modifier le concept de « pays tiers sûr » en autorisant les États membres de l’UE à envoyer de force des personnes en demande d’asile vers des pays avec lesquels elles n’ont aucun lien, sans possibilité de recours depuis l’UE.

En effet, le premier changement que la Commission propose signifie qu’il ne serait plus obligatoire qu’il existe un lien significatif entre la personne et le pays de transit. Au lieu de cela, outre la « protection effective », l’une des trois conditions suivantes doit être remplie : un lien OU un transit à travers le pays OU un accord ou un arrangement avec le pays qui comprend une évaluation au fond de la demande de protection. 

Il faut le souligner, le simple transit ou un accord/arrangement avec un pays ne devrait pas suffire à faire de celui-ci un lieu approprié pour renvoyer la personne.

Il convient de noter que la réforme de la législation européenne en matière d’asile adoptée l’année dernière a déjà modifié la définition de la sécurité afin de faciliter le classement d’un pays comme pays de retour sûr, même lorsqu’il ne respecte pas la convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

Une deuxième modification vise à restreindre davantage les droits de recours, un thème récurrent dans les réformes de l’asile au sein de l’UE. Les personnes qui reçoivent une décision négative parce qu’elles doivent être renvoyées vers un pays en situation de transfert spécial ne pourront plus rester pendant la procédure de recours. Cela signifie qu’elles pourraient être expulsées immédiatement vers un endroit qui n’est pas réellement sûr. Bien qu’elles puissent demander à rester, pour être efficace, un recours doit avoir un effet suspensif automatique, selon les deux cours européennes.

Selon ​​Amnesty International et d’autres organisations tels que le Conseil Européen des Réfugiés et Éxilés, cette modification ne ferait que fragiliser encore l’accès à l’asile en Europe, affaiblir les droits des personnes et augmenter le risque de renvoi forcé vers le pays d’origine et de détention arbitraire systématique dans les pays tiers – surtout au vu de l’incapacité de plus en plus manifeste de l’UE à surveiller et imposer le respect des droits humains dans ses pays partenaires.

Madame la Ministre, quelle position la Belgique va-t-elle tenir dans ce dossier ?

 

Réponse de la Ministre : 

Monsieur Vandemaele, afin d’éviter tout malentendu, vos questions ne m’agacent nullement. Je me ferai même un plaisir d’y répondre. Vous aimez jouer la carte de l’indignation morale et pointer du doigt. Je pense toutefois qu’il ne serait parfois pas inutile de balayer devant sa porte, même si cela peut s’avérer difficile.

En ce qui concerne le concept de pays tiers sûrs, sur lequel Mme Daems a également posé une question, je voudrais faire la remarque suivante. La Commission européenne a publié le 20 mai une proposition sur ce concept. Dans le cadre d’une question posée précédemment en séance plénière, j’ai déjà indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau concept ; par sa proposition, la Commission européenne souhaite simplement en élargir le champ d’application.

La proposition vise à rendre le concept plus pratique, plus efficace et plus flexible, afin qu’il puisse contribuer à un traitement plus rapide et plus efficace des demandes d’asile. À cette fin, deux éléments du concept sont modifiés. Premièrement, l’application du critère dit « de lien », qui consiste à exiger que le demandeur ait un lien avec le pays tiers sûr, ne serait plus obligatoire au niveau européen. Les États membres auront désormais la possibilité d’appliquer le concept de pays tiers plus sûr lorsqu’il existe un critère de lien. Ils pourront également inclure le transit comme critère de lien dans leur législation nationale et appliquer le concept sur la base d’un accord conclu avec un pays tiers capable d’offrir une protection effective au demandeur.

Dans ce cas, un critère de lien individuel n’est pas nécessaire. La mesure ne s’applique pas aux mineurs non accompagnés.

En outre, l’effet suspensif automatique en cas de recours est supprimé. Cette modification ne s’applique toutefois pas aux mineurs non accompagnés ni aux personnes faisant l’objet d’une procédure à la frontière.

Nous nous trouvons dans la première phase du processus législatif européen. Ce processus se déroule selon la procédure de codécision, ce qui signifie que les États membres doivent négocier la proposition de la Commission européenne au sein du Conseil. Le Parlement européen fait de même à son niveau. Dès que les deux institutions sont parvenues à un mandat de négociation, elles peuvent entamer les négociations en trilogue avec la Commission. Ce n’est qu’une fois qu’un accord aura été trouvé entre ces trois institutions que la mise en œuvre pourra être examinée au niveau national.

Il est donc encore beaucoup trop tôt pour parler d’accords avec des pays tiers. Indépendamment de cela, je peux déjà vous dire que le gouvernement est favorable à des mesures européennes qui allègent le système d’asile en limitant les flux entrants et en accélérant les flux sortants, y compris l’examen de solutions innovantes dans la dimension extérieure, telles que les concepts de pays sûrs.

Les droits fondamentaux doivent toujours être garantis. C’est également le point de départ des propositions de la Commission européenne. C’est ce qui est dit littéralement.

L’évaluation de l’impact d’un concept modifié sur notre système d’asile, y compris les accords éventuels avec des pays tiers, ne pourra être utile que lorsque les nouvelles règles issues des négociations seront connues, qu’un accord avec un pays tiers aura été conclu et que sa forme aura été déterminée.

En tout état de cause, l’objectif de la proposition relative aux concepts de pays sûrs est de contribuer à un traitement plus rapide et plus efficace des demandes d’asile. C’est le point de départ tant au niveau européen qu’au niveau belge. Je lis des messages assez inquiétants – je répète ce que j’ai répondu en séance plénière à une question de Mme Vandeberg – au sujet de ce concept, à savoir que le modèle rwandais revient à se débarrasser des gens et à bafouer les droits de l’homme. Mais de quoi s’agit-il exactement ? La proposition de la Commission européenne, dont vous prétendez qu’elle a été négociée lors des négociations gouvernementales – quod non ; je ne vous ai pas vu à la table des négociations et Mme De Vreese saura bien mieux que moi si vous y étiez ou non –, ne concerne ni plus ni moins que l’extension du champ d’application d’un concept existant.

La Commission européenne et le Haut Commissaire pour les réfugiés ont d’ailleurs déclaré que ce concept était conforme au droit international et européen. En outre, les droits nécessaires sont garantis et des garanties sont prévues pour le respect de ces droits.

Nous examinons actuellement la proposition de la Commission européenne au niveau du gouvernement. Au niveau européen, nous contribuerons activement aux négociations, sans tabous.