Intervention en plénière le 13 novembre au sujet du projet de loi modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale en ce qui concerne la compensation des CPAS suite à la limitation dans le temps des allocations de chômage. Le compte rendu complet peut être lu ici.

Ecolo-Groen a voté contre ce projet de loi pour ces raisons :

  • La compensation proposée n’est pas au niveau : la Fédération des CPAS chiffre à plus de 570 millions d’euros la part qui restera à charge des communes d’ici 2029
  • Le doublement de l’aide pour les frais de dossiers s’arrête abruptement après 2028, laissant les CPAS à devoir payer de leur poche l’augmentation des bénéficiaires à cause de la réforme du chômage.
  • Cette réforme s’ajoute à la suppression des subsides Participation et Action Sociale qui met à mal les CPAS dès aujourd’hui
  • Le bonus-malus à partir de 2028 conditionne le soutien aux CPAS à des obligations de résultats de conclure des PIIS et va punir ceux qui ont les profils les plus complexes
  • Les CPAS n’ont toujours pas reçu leur compensation de €26 millions de 2025 promise
  • La promesse des Engagés de n’engranger cette réforme seulement si un emploi convenable a été proposé n’est toujours pas réalisée.

Ma prise de parole :

Madame la ministre,

Cette réforme est avant tout une régionalisation qui ne porte pas son nom. Depuis le début de cette législature, vous organisez systématiquement, avec vos partenaires de la majorité, des transferts de charges tant vers les régions que vers les pouvoirs locaux. Au bout du compte, ce sont toujours les citoyens qui payent la facture.

En gros, vous créez du chaos, vous créez des réformes qui n’aboutissent pas ou dont les pendants n’arrivent jamais à temps ou sont insuffisants, et vous laissez les autres gérer le problème à votre place. Aujourd’hui, des économistes ont déjà budgété le fait que la réforme du chômage coûtera 100 euros par an à chaque citoyen wallon.

En ce qui concerne les compensations – qui sont du reste l’objet de ce texte –, vos budgets ont été construits sur des hypothèses basses largement contestées par le secteur. Vous estimez en effet que seul un tiers des exclus du chômage se rendront au CPAS. Or, d’une part, ce public pourrait largement dépasser les 30 % en fonction de la commune et, d’autre part, vous ne tenez aucun compte dans vos calculs du coût de toutes les démarches administratives engendrées par les personnes qui se seront rendues dans les CPAS mais n’auront pu obtenir un revenu de remplacement.

La Fédération des CPAS chiffre à plus de 570 millions d’euros la part qui restera à charge des communes d’ici 2029 au-delà de la compensation fédérale, d’autant plus que cette compensation diminuera d’un quart au bout de trois ans.

Vous prévoyez en effet qu’en 2026, le fédéral compensera la quasi-totalité du paiement des RIS mais que, dès 2027, ce montant diminuera de 10 % et ainsi de suite. D’autre part, le doublement de l’aide pour les frais de dossier permettra l’engagement de 600 à 800 équivalents temps plein jusque 2028, mais ensuite ce doublement prendra fin. Nous reviendrons donc au bout de deux ans au régime tel qu’il existe actuellement et ce, sachant que d’autres réformes mises en place par vos soins ont dès aujourd’hui forcé les CPAS à réduire la voilure, notamment la fin de la subvention Participation et Activation Sociale.

Par ailleurs, il est estimé que les incitants sont mal calibrés et qu’ils seront peu efficaces par rapport aux objectifs poursuivis. Je fais ici référence au bonus-malus, pour des résultats qui, aujourd’hui, constituent des moyens donnés aux CPAS. En effet, un CPAS n’est pas l’autre. Le CPAS  de Jurbise, par exemple, où tout semble très bien se passer, n’est pas le CPAS de Liège qui accueille un public précarisé demandant des dépenses d’énergie plus importantes que dans d’autres.

Vous ne tenez absolument pas compte de cela!

Madame la ministre, je ne peux pas comprendre comment on peut conditionner le soutien aux CPAS à des obligations de résultats de conclure des PIIS. C’est comme si l’on retirait de l’argent à quelqu’un pour le punir d’être pauvre! Cela ne résoudra en rien la situation.

En ce qui concerne le bonus emploi durable, il reste flou, non budgétisé et sans impact prévisible. Cela rejoint la critique du Conseil d’État, qui relève que le dispositif de bonus n’est pas lié à de réels efforts d’accompagnement, que les mesures relèvent davantage d’un financement incitatif que d’une compétence fédérale légitime et que ce flou renforce l’idée que le mécanisme est mal fondé juridiquement et est inefficace socialement.

Par rapport à tout cela, la question que nous nous posons tous est de savoir où sont les 26 millions. Aujourd’hui, dans les CPAS, des équipes sont en train de s’organiser pour pouvoir pallier l’arrivée de toutes ces personnes mais elles ne voient pas l’argent arriver. Or les formations, l’investissement dans le matériel, les recrutements doivent commencer dès maintenant. Il est plus que moins une et pourtant ces millions sont aujourd’hui bloqués.

Madame la ministre, cette réforme aura un impact énorme sur les réalités des CPAS. En commission des Affaires sociales, nous avons auditionné durant des jours des travailleurs du CPAS d’Anderlecht qui nous faisaient part d’une immense détresse de devoir gérer seuls de trop nombreux dossiers, alors qu’ils font face aussi à des bénéficiaires eux-mêmes dans une terrible détresse, acculés. Ce sont des cas qui sont en fait très difficiles à gérer. C’est le cas pour de nombreux CPAS dans notre pays, qui sont confrontés à des hauts taux de pauvreté.

On a vu à quel point les CPAS sont aujourd’hui confrontés à des difficultés de recrutement parce que ce genre de travail social n’attire pas à cause des conditions de travail dans lesquelles nous plaçons ces personnes. Ce sont des personnes qui sont en maladie, en burn-out, qui ne veulent plus retourner travailler dans ce type de structure tant elles ont l’impression de vider la mer avec une petite cuillère.

J’entends certains nous dire qu’il y a des CPAS qui s’organisent très bien, qui recrutent déjà! Mais, madame la ministre, les CPAS qui sont actuellement sous plan de gestion – ce qui est le cas de la plupart des CPAS des grandes villes – n’ont tout simplement pas le droit d’investir maintenant pour anticiper la réforme. Comment voulez-vous qu’ils fassent? Comment peuvent-ils dès maintenant former les agents pour faire en sorte que les personnes exclues soient accueillies dignement, pour s’assurer du respect de leurs droits et qu’il n’y ait pas d’erreurs dans les dossiers qui pourraient donner lieu à des recours par la suite?

Il est quand même important que cela soit fait de façon sérieuse. Aujourd’hui, on ne leur donne pas les moyens pour pouvoir s’organiser correctement.

Par ailleurs, comment voulez-vous que les CPAS attirent, alors qu’il s’agit d’un renforcement d’une durée de deux ans pour les dossiers administratifs? Quel jeune qui sort des études d’assistant social va-t-il se dire « génial, je vais postuler pour ce boulot, où il y aura un afflux de personnes dans une détresse immense, avec beaucoup trop de dossiers à gérer par assistant social »? Et, ce, pour un premier boulot, qui plus est sans perspective de carrière vu que cela s’arrête dans deux ans. On est ici confronté à une impossibilité de faire fonctionner correctement cette réforme, d’autant plus au vu des délais aujourd’hui impartis.

Enfin, vous contraignez des équipes à atteindre une mission, là où d’autres qui étaient formés et outillés pour le faire n’y sont pas parvenus: insérer sur le marché du travail des profils potentiellement difficiles à insérer, peu formés et parfois au chômage depuis des années. Eux devraient, pour pouvoir conserver leurs aides, mettre au travail ces personnes. Je ne comprends pas comment vous pouvez vous dire que c’est une bonne idée.

Alors, tout ceci s’inscrit évidemment dans un climat plus que tendu. Actuellement, le secteur de la réinsertion est mis à mal par toute une série de coupes budgétaires qui s’organisent au niveau des régions. Les cellules de reconversion sont aujourd’hui affaiblies par les décisions de la Région wallonne. On voit également que le secteur de la réinsertion socioprofessionnelle est également sous pression. On demande donc aujourd’hui à toutes ces structures d’accompagner, de remettre au travail des demandeurs d’emploi, alors qu’on affaiblit dans le même temps les structures qui sont censées effectuer ces missions. Je ne comprends pas.

On voit par ailleurs qu’il y a un rétrécissement des opportunités d’emploi dans la société. Votre collègue de l’Emploi s’évertue à multiplier les flexi-jobs. En 2024, on était à presque 27 000 équivalents temps plein occupés actuellement par des personnes sous contrat flexi-job. Cela signifie que ces emplois ne sont pas occupés principalement par une personne dont c’est le métier et dont c’est le salaire mensuel mais bien par une personne qui cumule ce job avec un autre job, tout en vidant les caisses de la sécurité sociale, étant donné que ces boulots-là sont défiscalisés.

En voulant étendre ce système de flexi-jobs à l’ensemble des secteurs de la société, nous allons poursuivre ce mouvement et donc priver de ces opportunités d’emploi les demandeurs d’emploi exclus via votre réforme.

Je ne comprends pas. C’est la même chose avec les jobs étudiant, qui sont prestés pendant des centaines de milliers d’heures dans notre pays, alors que ces emplois pourraient être occupés par des personnes faiblement qualifiées. C’est donc la double peine qui s’applique puisque vos réformes ne se complètent pas. On se retrouve dans la même situation avec la volonté de multiplier des heures supplémentaires au lieu de créer des emplois supplémentaires dans les entreprises ou encore avec la réforme des aides à la promotion de l’emploi (APE) en Wallonie, qui va faire disparaître 2 500 emplois d’ici 2026. En l’occurrence, ce sont des personnes qui jouissent d’un haut potentiel d’employabilité qui vont se retrouver en haut de la pile des profils qui seront engagés. Les personnes qui seront exclues à travers cette réforme du chômage seront moins bankables à travers les candidatures qu’elles déposeront. Par ailleurs, du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, on voit une réforme de l’enseignement. Ce sont 1 500 professeurs qui risquent ainsi de perdre leur travail. Nous assistons donc à un rétrécissement du marché du travail.

Nous savons aussi que 15 000 emplois ont disparu à cause des faillites qui se sont succédé au cours des derniers mois. Notre situation est loin d’être florissante sur le plan de la création d’emplois, d’une part, en raison de la conjoncture économique, certes, d’autre part, en raison de décisions politiques qui sont prises à différents niveaux de pouvoir. De même, les choix des gouvernements de droite de ne plus investir dans le futur constituent des opportunités en moins pour créer des emplois et susciter des dynamiques économiques. Quand on arrête des projets tels que l’extension de lignes de tram, cela signifie que plusieurs personnes ne pourront pas occuper ces boulots. Dans cette logique, je ne comprends pas comment vous pouvez, en définitive, transformer tout cela en une responsabilité individuelle de s’insérer dans le marché de l’emploi. C’est inacceptable, injuste et complètement hypocrite.

Revenons un peu au profil des gens que vous allez exclure. J’entends les uns parler des « profiteurs ». Vous avez abondamment évoqué l’émission ayant montré des personnes ne souhaitant pas travailler. J’entends aussi Les Engagés indiquer que 80 % de la population veut cette réforme. Or ces chiffres s’effondrent quand on voit qui est concerné par cette réforme. Vous avez lu l’enquête de la Ligue des familles relative au soutien réel lorsqu’on va un peu gratter derrière les clichés? Par exemple, quand il s’agit d’une maman solo avec deux enfants, on ne trouve plus que moins de 30 % de soutiens à votre réforme. Autrement dit, 70 % de la population n’approuve pas qu’on vire du chômage une maman solo. C’est pareil pour les parents d’un enfant en situation de handicap.

Et parlons aussi des travailleurs âgés, c’est-à-dire des personnes de plus de 55 ans qui vont se retrouver jetées hors du chômage. On leur demande de trouver du boulot alors qu’on sait à quel point – M. Clarinval le sait également, vu les chiffres dont il nous a parlé la semaine dernière – les travailleurs plus âgés sont discriminés sur le marché de l’emploi.

Cela fait des mois qu’on martèle qu’il faut mettre en place des mesures d’accompagnement de la réforme du chômage pour des publics spécifiques. Rien n’a été fait! Dans un an, qu’en sera-t-il de ces publics-là? Il en va de même pour des personnes issues de l’immigration qui, elles aussi, subissent davantage de discrimination à l’embauche. Que ferons-nous de ces publics-là? Quelles seront les solutions? Franchement!

Vous nous disiez, du côté des Engagés, que vous aviez promis de mettre en place une compensation pour les CPAS afin de ne pas les laisser tomber. Comme je vous le disais tout à l’heure, cette compensation n’est pas suffisante, et surtout, elle ne correspond pas à votre promesse de campagne. Votre promesse de campagne était d’offrir un emploi convenable à chaque personne avant son exclusion. Où est cet emploi convenable? Où est-il? Vous avez décidé de laisser tomber ces personnes qui ont voté pour vous. Voilà la réalité des faits!

Aujourd’hui, vous nous dites que votre objectif est la revalorisation du travail et la réinsertion des personnes sur le marché de l’emploi. Vous nous vendez une image du travail, mais on aimerait tous promettre à ces personnes qui vont se retrouver exclues dans quelques semaines ou quelques mois qu’elles se réinséreront.

Où en sommes-nous réellement aujourd’hui? M. Ducarme nous disait tout à l’heure que 35 % des personnes concernées potentiellement par une exclusion des allocations de chômage avaient retrouvé un contrat de travail. Ces fameux 35 % qui ont retrouvé du boulot sont en fait des chiffres tout à fait linéaires par rapport aux années précédentes. Si vous y regardez d’un peu plus près, les 35 % de personnes qui ont trouvé un emploi et qui seront exclues sont des chiffres normaux. Cela montre que les personnes cherchent du boulot et finissent par en trouver. Ces chiffres incluent d’ailleurs les jeunes qui bénéficient d’une allocation d’insertion. Je suis donc heureuse de savoir que des jeunes qui sortent des études ont une petite période durant laquelle ils touchent une allocation d’insertion et puis finissent par trouver du travail; cela correspond à la logique.

Mais ce que vous ne mentionnez pas quand vous parlez des 35 %, c’est qu’ils englobent également des personnes qui ont eu un contrat d’un jour, qui ont travaillé une semaine, qui ont eu un intérim de quelques semaines. Pour ma part, ce ne sont pas les emplois que je souhaite voir occupés par ces 180 000 personnes qui vont être exclues du chômage à partir de janvier. Moi, ce que je leur souhaite, c’est de trouver un emploi stable, un CDI qui leur permet de se projeter dans le futur, d’avoir des collègues avec lesquels ils peuvent tisser des liens, nouer des amitiés, aller boire un verre après le boulot ou faire un barbecue le week-end.

Je leur souhaite d’avoir des contrats de travail qui leur permettent de convaincre un propriétaire de leur louer un appartement, même lorsque ces conditions imposées par ce dernier sont à la limite de la légalité.

Votre gouvernement poursuit un objectif de 80 % de taux d’emploi mais sans mettre en place la moindre mesure pour créer le premier emploi convenable de cette législature. Je ne comprends pas! Ce que vous avancez ne sont donc que des mots, des mesures hypocrites qui se contredisent et s’entrechoquent les unes contre les autres. Vous êtes en train de créer un magnifique chaos dont les citoyens paieront la facture.