Interpellation posée à David Clarinval, ministre de l’Emploi, le 6 novembre 2025. Le compte rendu complet peut être lu ici.
Ma question :
Monsieur le ministre,
Vous avez, le mercredi 29 octobre, tenu des propos dans plusieurs médias concernant l’origine ethnique ou la nationalité des demandeurs d’emploi susceptibles d’être exclus du chômage. Il y a évidemment déjà beaucoup à dire sur votre choix de lancer cette polémique identitaire incendiaire juste au moment où vous vous êtes mis en difficulté, suite à vos déclarations inexactes sur les syndicats.
Je voudrais avant tout vous demander de faire la lumière sur un élément extrêmement préoccupant. Sur base de vos informations, Sudinfo publie à la une: « 57 % des exclus du chômage ne sont pas belges ». Le journal affirme également que plus de 100 000 étrangers vont perdre leurs allocations.
Vous déclarez vous-même, sur les ondes de Bel RTL, que plus de la moitié des demandeurs d’emploi qui vont être exclus sont d’origine étrangère et que « donc, moins de la moitié sont belges en réalité ». Ce sont vos mots.
Or les chiffres sur lesquels vous vous basez concernent des personnes, belges ou non, dont l’un des parents avait pour première nationalité une autre que la nationalité belge. La collecte de ce type de statistiques par la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale devrait justement permettre d’identifier les cas où vos réformes risqueraient d’avoir un impact discriminatoire sur certains publics. C’était d’ailleurs l’objet de l’intervention de ma collègue Thémont, ici présente. Mais vous, vous avez instrumentalisé ces informations pour créer des divisions contraires à la loi et à la Constitution belges.
Monsieur le ministre, la Constitution prévoit que la qualité de belge s’acquiert, se conserve et se perd d’après les règles déterminées par la loi civile. Elle prévoit aussi l’égalité de tous les Belges devant la loi quelle que soit la nationalité de leurs parents.
En déclarant, en votre qualité de ministre de l’Emploi, que certains Belges ne sont pas des Belges en réalité parce qu’ils ne seraient pas nés Belges ou de deux parents nés Belges, vous ne faites pas seulement honte à la Belgique, vous violez ses lois et sa Constitution. Vous substituez à la définition légale et constitutionnelle de la nationalité belge une définition raciste, basée sur une identité ethnique fantasmée, à la manière de Zemmour ou Orbán.
Alors ces propos, évidemment, ne peuvent que rappeler ceux de votre collègue M. Jeholet, lorsqu’il était ministre-président de la FWB et qu’il enjoignait notre collègue Boukili à quitter la Belgique, comme si la nationalité belge de M. Boukili valait moins qu’une autre nationalité. Vous trouvez ça normal? Vous n’avez plus de commentaire à faire? Non? J’entendais tout à l’heure M. Bacquelaine réagir, apparemment, il ne souhaite plus le faire.
Vos déclarations, monsieur le ministre, m’obligent à vous poser les questions suivantes. Acceptez-vous, monsieur le ministre, entièrement les principes fixés par la loi et la Constitution belges en matière d’acquisition de la nationalité? Acceptez-vous que tous les Belges sont égaux devant la loi, quelle que soit leur nationalité de naissance et celle de leurs parents? Reconnaissez-vous avoir fait des déclarations inexactes, illégales et discriminatoires? Comptez-vous présenter des excuses qui prennent la mesure de la gravité de vos affirmations? Quelles conséquences comptez-vous en tirer? Si vous maintenez vos déclarations, pouvez-vous nous éclairer sur ce qui définit, selon vous, qu’une personne soit belge ou non, et ce qui vous autorise à faire cette distinction?
Enfin, je vous demande de nous transmettre le document que vous avez transmis à RTL et à Sudpresse ainsi que l’ensemble des mails que vous leur avez transmis lors de cette séquence.
La réponse du ministre :
Mesdames et messieurs les députés, vos questions me donnent l’occasion d’éclaircir plusieurs points importants et de remettre les éléments dans leur contexte.
Avant toute chose, j’aimerais rappeler deux points essentiels pour moi. Premièrement, depuis le premier jour de ma carrière politique, il y a bientôt 25 ans, j’ai toujours eu à cœur de défendre les valeurs que sont la liberté, la tolérance, la démocratie et la libre-pensée. Ce sont des valeurs qui me sont chevillées au corps, ce sont mes convictions les plus profondes.
C’est la raison pour laquelle j’estime essentiel de sensibiliser les jeunes, dès le plus jeune âge, aux valeurs d’égalité, de diversité et de respect, afin de bâtir une société plus inclusive. Cette attitude doit également se prolonger sur le lieu du travail. La diversité est un atout pour notre société.
Deuxièmement, les réformes que je mène s’inscrivent dans une période exigeante, marquée par la rigueur budgétaire et les crises diverses. Mon objectif reste le même: permettre à notre pays de s’en sortir durablement, remettre le travail au cœur de notre société et préserver notre sécurité sociale.
Mesdames et messieurs les députés, vous m’interrogez au sujet de la notion d’origine concernant les personnes exclues du chômage, qui a été utilisée dans la réponse parlementaire que j’ai donnée par écrit à Mme Thémont.
J’ai reçu cette question écrite de Mme Thémont relative aux conséquences de la réforme du chômage sur certains publics vulnérables, entre autres les personnes issues de l’immigration, à la suite de la présentation d’un rapport d’Unia. Cette institution exprimait ses craintes à propos de la limitation des allocations du chômage dans le temps. Mme Thémont me demandait explicitement des chiffres à ce sujet. Permettez-moi de la citer ici: « Avez-vous évalué l’impact différencié de la réforme du chômage sur les publics vulnérables, notamment les personnes en situation de handicap, les seniors et les personnes issues de l’immigration? Des données chiffrées sont-elles disponibles à ce sujet? »
J’ai transmis le 27 octobre à Mme Thémont une réponse très détaillée à sa question. Et rien dans ma réponse ne laisse sous-entendre la moindre confusion quant au fait que les chiffres portent bien sur l’origine des chômeurs et non sur leur nationalité. La définition de l’origine dans ma réponse est parfaitement limpide.
Tous les chiffres contenus dans ma réponse sont exacts. L’administration a fourni les éléments de réponse sur la base des données dont elle pouvait disposer via la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale. Cette définition existe depuis longtemps et elle n’a pas été élaborée pour la cause. C’est donc la BCSS qui a élaboré clairement cette définition.
La question parlementaire et sa réponse ont également fait l’objet d’articles de presse. J’ai brièvement commenté ces informations le mardi 28 octobre, dans le courant de l’après-midi. J’ai d’ailleurs, comme je vous l’ai dit en préambule, pu exprimer dans ces articles mon approche et rappeler clairement qu’il ne fallait pas stigmatiser mais bien accompagner.
Le mercredi 29 octobre, cette réponse a été reprise par deux organes de presse. Je constate que, sur la base de la même réponse parlementaire, les deux journaux ont tiré des conclusions différentes. De plus, une des rédactions a intitulé son article avec un titre erroné. L’organe de presse l’a d’ailleurs reconnu et a présenté ses excuses pour ce titre qui, je le rappelle, n’est pas de mon fait.
Le mercredi 29 octobre, j’ai été par ailleurs invité à la matinale radio de RTL pour évoquer les négociations budgétaires. J’ai également été questionné sur l’origine des futurs exclus du chômage. À la question du journaliste qui évoquait la nationalité des chômeurs, j’ai répondu trop rapidement. Je reconnais avoir, verbalement, commis une erreur. Je comprends que cette expression maladroite en radio ait pu choquer et je présente donc mes excuses.
Ceux qui me connaissent savent qu’il n’y avait aucune intention délibérée de ma part d’engendrer une polémique, comme j’ai malheureusement pu le lire et l’entendre ensuite sur les réseaux sociaux. Le fait pour certains citoyens belges d’être d’origine étrangère ne change évidemment rien à leur identité belge car, en réalité, il suffit de remonter souvent quelques générations pour se rendre compte que nous sommes, toutes et tous, d’origine étrangère, et c’est très bien ainsi.
Je constate toutefois que, malgré le fait que j’ai communiqué des informations correctes et transparentes, certains ont extrait un morceau d’une phrase de cet entretien radio et l’ont placé hors contexte pour en faire un procès d’intention, y ajoutant des interprétations personnelles.
Je regrette donc aussi que certains préfèrent jouer sur les mots plutôt que de débattre sereinement de cette question importante.
Je suis le ministre de l’Emploi de tous les citoyens de ce pays. Je dois donc veiller à inscrire chacune et chacun dans le cercle vertueux du travail. L’activité professionnelle est source de revenus, d’épanouissement personnel et d’intégration sociale. De plus, les cotisations sociales générées par l’emploi apportent des recettes qui sont bienvenues pour notre système de sécurité sociale.
Nous sortons toutes et tous gagnants de ce cap politique et de ce choix de société: ne pas stigmatiser, mais accompagner. C’est ainsi, dans le respect et la solidarité, que nous construirons une société plus juste et un marché du travail plus inclusif.
Je vous remercie pour votre attention.
Ma réplique :
Monsieur le ministre, je n’ai pas reçu de réponse à l’ensemble de mes questions.
Néanmoins, j’entends plusieurs choses. J’entends d’abord une réaffirmation, une sorte de discours de campagne – je pensais qu’on avait encore un gouvernement, mais voilà, peut-être que vous anticipez une nécessité, je ne sais pas –, pour nous expliquer à quel point cette réforme est nécessaire, indispensable, et qu’elle va tous nous faire du bien. Franchement, que vous la pensiez nécessaire et qu’elle soit dans vos objectifs politiques, c’est une chose. Par contre, les faits sont là. On sait aujourd’hui, par exemple, que cette réforme va coûter par an 100 euros à chaque Wallon, et donc, non, ce n’est pas une réforme qui va faire du bien à tout le monde.
Aujourd’hui, l’accompagnement, il n’est pas là. Les structures d’accompagnement des personnes exclues ne sont pas là. Les fameux emplois convenables qui étaient promis au départ, avant une exclusion, n’ont pas été mis en œuvre. Par ailleurs, pour revenir à notre question du jour, cela fait des mois que, lors de mes questions et de mes interpellations sur la question de la réforme du chômage, je vous interpelle sur l’accompagnement des publics qui vont subir de plein fouet cette réforme, et sur les publics qui vont être laissés au bord du chemin, notamment les 55+, et, à aucun moment, un plan en la matière n’a été proposé ou mis sur la table.
Maintenant, vous me dites: « Vous me faites des procès d’intention! » Dans ce cas, monsieur le ministre, expliquez-nous un peu, pourquoi cette sortie? Pourquoi communiquez-vous sur les chiffres de la réponse à Mme Thémont? Quelles sont vos intentions? Pourquoi communiquez-vous uniquement au sujet de la partie qui concerne l’origine et pas sur celle qui concerne les personnes en situation de handicap ou les 55 ans et plus? C’est interpellant, vous ne trouvez pas? Parler de procès d’intention est donc ici un peu fort de café !
Vous dites que ce sont des publics qui vivent des situations difficiles, et vous faites pleurer dans les chaumières. Mais vous n’avez rien fait pour protéger ces publics, malgré les recommandations d’Unia sur le sujet. Et c’est maintenant, alors que la réforme est lancée comme un TGV à 200 km/h, que vous vous inquiétez de ces publics? C’est la meilleure! De qui est-ce qu’on se fout?
Je pense que les excuses étaient nécessaires. Elles arrivent tard, mais je les entends. Par contre, vous n’êtes quand même pas né de la dernière pluie, monsieur le ministre. Tout le monde se souvient de la polémique autour de votre recommandation de lecture, le bouquin Transmania, qui tient des propos violents, discriminants envers les personnes transgenres. Ce n’était peut-être pas votre idée non plus, mais il faut nous expliquer où vous vous situez.
Par ailleurs, vos excuses ne vous dispensent pas de nous transmettre les documents que je vous ai demandés. Nous souhaitons recevoir le mail que vous avez transmis à la presse avec ces informations, le document qui y était joint, ainsi que le titre de ce mail et tous les mails qui ont été échangés durant cette séquence

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