Interpellation posée à Bart De Wever, premier ministre, le 6 novembre 2025 en séance plénière. Le compte rendu complet peut être lu ici.

Mon interpellation :

Monsieur le premier ministre,

Vous nous l’avez annoncé tout à l’heure: à Noël, vous aurez deux choix. Soit vous présentez un budget, soit vous présentez votre démission. À Noël, vous serez dix semaines et deux jours exactement après la date butoir du 14 octobre que vous avez dépassée. Cela s’appelle une crise politique grave.  

Mais ce que je ne comprends toujours pas, c’est le projet politique pour lequel vous vous battez. Vous nous parlez de rigueur budgétaire. Vous nous parlez d’économie, mais vous ne nous parlez jamais de la justice fiscale ou sociale que vous pourriez pourtant créer avec le budget. 

Le budget, ce n’est pas juste des tableaux de chiffres. Le budget, c’est la photographie, la transposition d’une vision de société à laquelle on aspire en faisant de la politique. En tout cas, c’est la vision dans laquelle je m’inscris. 

À aucun moment, on ne vous entend souhaiter améliorer la vie des gens, avoir des propositions qui répondent concrètement aux aspirations ou aux problèmes de la population. Voici quelques mois déjà, lors de la présentation de votre budget 2025, vous aviez fondé votre trajectoire sur des effets retours qui étaient jugés irréalistes par les experts. Force est de constater que ces craintes sont largement confirmées. 

Monsieur le premier ministre, persisterez-vous à appliquer cette méthode qui consiste à se lancer des propositions budgétaires comme des noms d’oiseaux par presse interposée, qui, au final, ne correspond à aucun projet et qui, mise bout à bout, ne tient pas budgétairement? Comment allez-vous dépasser ce blocage? Quelle méthode allez-vous adopter pour faire en sorte de ramener vos partenaires de majorité autour d’un projet commun qui a du sens? Irez-vous enfin chercher l’argent là où il se trouve? 

Il y a quand même un réel souci dans les propos que j’entends des uns et des autres. J’entends beaucoup de discours qui disent « il n’y aura pas de nouvelle taxe ». Et c’est asséné comme un mantra, comme une promesse tenue envers la population pour lui dire que le coût de la vie ne va pas augmenter. Mais, en fait, là où vous jouez sur la confusion, c’est que vous sous-entendez que ce ne sont pas des nouvelles taxes pour la majorité de la population, et on ne peut que vous rejoindre. Nous sommes évidemment fondamentalement opposés à une augmentation de la TVA ou à un saut d’index, qui n’est par ailleurs pas une nouvelle taxe.  

Par contre, la population n’est pas du tout opposée à une taxation sur les plus-values, pas du tout.

Je pense donc que vous jouez sur les mots et la confusion pour ne pas aller chercher l’argent là où il est et qui serait une façon de rétablir la justice sociale et de faire en sorte que chacun et chacune dans ce pays contribue à hauteur de ses moyens aux besoins de notre société.

Monsieur le premier, irez-vous enfin chercher l’argent là où il est? Par exemple, dans la globalisation des revenus, qui représenterait 6,5 milliards d’euros, dans la lutte contre la fraude fiscale, qui représente minimum 9 milliards d’euros par an, ou encore dans la fameuse taxation des plus-values.

 J’en viens à ma dernière question. Ce que vous m’avez dit tout à l’heure m’a profondément inquiétée. Vous avez déclaré que les projets qui n’ont pas encore été déposés au Parlement seront arrêtés, tandis que les projets qui sont déjà déposés au Parlement pourront être poursuivis et votés.

Selon moi, le compte n’y est pas. Je regarde les amis des Engagés et de Vooruit, parce qu’en fait, toute une série de victoires ont déjà été engrangées par la N-VA et le MR, à savoir la réforme du chômage et la suppression du bonus pension qui est encore sur la table. On peut y ajouter toutes les horreurs en matière de migration.

Par contre, la taxation des plus-values, qui était censée être le minimum de compensation pour avaler toutes ces couleuvres, n’est toujours pas sur la table du Parlement. Cela signifie que, vous, Vooruit et Les Engagés, allez laisser se poursuivre les projets de la droite qui sont déposés sur le banc du Parlement, sans obtenir les justes compensations? Cela m’apparaît complètement aberrant.

Pouvez-vous me préciser si c’est bien de cela qu’il s’agit? Vos collègues de majorité sont-ils d’accord avec cette inégalité dans les victoires obtenues au niveau du gouvernement? J’imagine que votre parti est d’accord.

La réponse du premier ministre :

Chers collègues, merci pour vos questions. Surtout, merci à ceux qui m’interrogent une deuxième fois sur le même sujet. Il est toujours bon de prendre le pouls. En effet, il y a quelques heures, j’ai déjà fait une déclaration devant la Chambre vous informant pleinement de l’état d’avancement des négociations budgétaires et des conséquences pour le travail parlementaire.

Je vous ai clairement indiqué que le chemin qui nous attend est extrêmement difficile, mais que nous n’avons pas d’autre choix que de prendre les mesures qui permettront à moyen terme d’aligner notre budget sur la norme européenne en matière de dépenses. C’est uniquement de cette manière que nous pourrons protéger notre prospérité, garantir notre sécurité et maintenir la soutenabilité financière de notre sécurité sociale.

Le gouvernement aurait pu choisir la facilité et présenter un budget pour l’année prochaine sans problème, comme je l’ai dit, mais dans ces circonstances budgétaires, cela aurait également été sans gêne.

C’est pourquoi nous nous sommes fixé pour objectif de tout mettre en œuvre pour prendre des décisions qui nous rendent plus résilients. Le budget pluriannuel doit définir le cadre budgétaire dans lequel s’inscrivent ces grandes réformes. Ce cadre budgétaire est la clé des réformes.

Merci d’ailleurs d’avoir tant vanté les mérites de ces réformes. C’est certainement ce qu’a fait l’Open Vld. Je l’apprécie. Madame Bertrand, je vous suis également reconnaissant pour les critiques que vous avez formulées à l’égard de votre propre politique. Vous avez déclaré que ces dernières années avaient été dramatiques pour la santé publique. Il s’agissait donc de vos années. J’ajouterais que le budget était également dramatique. Il est en effet extrêmement difficile de nettoyer votre héritage.

Monsieur Dermagne, je vous remercie également de le reconnaître. La situation est dramatique. Elle ne s’est pas créée en neuf mois, mais s’est construite au fil des années, avec des déficits colossaux. Vous les avez décrits. C’est horrible. Je vous remercie de reconnaître que ce que vous m’avez laissé est effectivement dramatique et terrible.

Monsieur Vanbesien, je vous remercie également. Vous parlez d’un budget pluriannuel comme si vous en aviez déjà établi un et de redressements comme si vous aviez une certaine expérience en la matière. Je l’ai déjà dit, rien n’est plus facile que d’établir le budget pour l’année prochaine. Nous disposons de la flexibilité de l’Europe et nous n’avons aucune mesure supplémentaire à prendre. Nous aurions pu mettre cela dans une pochette. Nous aurions pu nous présenter devant le Parlement en octobre, à la manière de Vivaldi, et tout reporter à l’année suivante, puis à l’année d’après, et encore à l’année suivante. Ce n’est qu’en 2029, année électorale, qu’un véritable problème se serait posé. Monsieur Dermagne, j’aurais alors pu laisser cela à mon successeur, à la manière de Vivaldi. Ensuite, peut-être dans l’opposition, car je l’aurais mérité, j’aurais pu venir ici, en agitant les bras, pour raconter à quel point la situation était dramatique. C’est exactement ce que vous venez de faire.

Nous n’avons pas fait ce choix. Nous avons décidé de fixer le budget jusqu’en 2029. Oui, cela s’est avéré difficile, nous n’y sommes pas encore. Mais cela doit être fait. Les contours de ce que nous devons faire sont connus. Cela ne rend effectivement pas joyeux.

Je dois l’admettre, Madame Pas, je retire mes propos, vous n’êtes effectivement pas joyeuse. Je m’excuse d’avoir affirmé le contraire. Vous n’aviez vraiment pas l’air joyeuse. Monsieur Hedebouw, vous, en revanche, vous êtes toujours joyeux. Vous voyez toujours le bon côté des choses.

Mais ce n’est pas si drôle que ça. Pour atteindre notre objectif, nous devons réaliser une amélioration structurelle non négligeable du solde. Cela s’ajoute à la trajectoire budgétaire et au programme de réformes déjà prévus dans l’accord de gouvernement. Il s’agit de 9,2 milliards en 2029 et de 10 milliards en 2030. Je n’exclus d’ailleurs pas que le chemin soit encore plus difficile, car nous ne sommes pas dans les temps. Il est très réaliste de penser que, pour respecter la norme de dépenses, ces chiffres devront encore être revus à la hausse.

Chaque semaine d’attente est en fait une semaine de trop. Mais cela doit être fait ; c’est le minimum requis. Nous ne parlons pas encore de l’effort nécessaire pour rester dans les limites des 3 %. Celui-ci est encore beaucoup plus important, car nous parlons alors d’un volume d’environ 16 milliards en 2029 et 20 milliards en 2030. Cet exercice devra de toute façon être réalisé en deux législatures, comme je l’ai toujours dit. Au-delà, il n’est pas réaliste, sur le plan économique et social, de le faire en une seule législature.

La voie que l’Europe nous a tracée pour rester crédibles est celle de la norme de dépenses, et c’est la voie que nous devons suivre. Nous aurions pu repousser cette échéance, mais nous avons choisi de ne pas le faire. En conséquence, nous sommes effectivement confrontés aux plus grands problèmes imaginables. Je ne le cache pas. Nous sommes confrontés aux plus grands problèmes imaginables, mais le sort du gouvernement, et certainement mon sort en tant que Premier ministre, y est lié. Je refuse de diriger un gouvernement qui ne suit pas cette voie. Ce n’est pas pour moi. Quelqu’un d’autre devra alors le faire. Je ne le ferai pas, je vous le garantis. Je veux tout mettre en œuvre pour que cela soit réglé d’ici la fin de l’année. Je sais que ce n’est pas réjouissant de devoir subir cela ici chaque jeudi. Je veux faire tout cela, mais cette voie doit exister. Sinon, cela n’a aucun sens de rester au 16, rue de la Loi. Je regrette énormément que cela ne soit pas encore réglé.

Le cabinet restreint a donc décidé de commencer le premier trimestre 2026 en douzièmes provisoires. J’ai entendu dire que cela ne s’était jamais produit, mais vous vous trompez. Cela s’est déjà produit, dans un gouvernement dont le parti de l’orateur faisait également partie. Vous devriez connaître un peu votre histoire. Mais travailler avec des douzièmes provisoires n’est bien sûr pas une bonne situation.

Le ministre du Budget se chargera des préparatifs techniques. Entre-temps, dans l’intérêt de tous les habitants de ce pays, le gouvernement devra continuer à œuvrer pour parvenir à un accord budgétaire. Pour le reste, je vous renvoie au débat que nous avons déjà eu tout à l’heure.

Ma réplique :

Monsieur le premier ministre, vous n’avez pas répondu à ma question, ce que je prends comme une confirmation de ma supposition. C’est donc bien cela qui va se passer.

Pendant neuf mois, vous avez engrangé, vous avez fait passer à la caisse les pensionnés, les demandeurs d’emploi, vous avez coupé le subside fédéral du Plan Grand Froid, des Restos du Cœur. Vous avez instauré un plafond de cotisations pour les salaires de plus de 25 000 euros par mois. Cela fait un trou dans la sécurité sociale de 75 millions en 2026 et de 150 millions en 2027. C’est déjà calculé, vous pouvez le mettre dans vos tableaux. Et puis, vous avez aussi d’ores et déjà jeté des familles migrantes à la rue.

Tout cela est engrangé. Et, pour le reste, rien. Vous nous annoncez que cela n’aura pas lieu. Ce sont toujours les mêmes qui passent à la caisse. Pourquoi ne déposez-vous pas maintenant le texte sur les plus-values? Cela peut vous aider pour boucler au moins votre budget 2026. Pourquoi laisser filer le budget 2026 soi-disant au nom d’un budget pluriannuel? Vous allez juste aggraver encore le problème. Vous pourriez dès maintenant déposer ce projet de loi en urgence et le faire voter avant la fin décembre. Nous nous engageons à le soutenir.

Vous rigolez, Les Engagés! Mais s’il y a bien une chose intelligente que vous pourriez faire dans les prochains jours, c’est ça! Pour avoir un tout petit peu de justice pour ceux qui ont trinqué depuis le début de ce gouvernement. Les bonnes mesures qui vont améliorer la vie des gens sont toujours remises à plus tard. On nous dit: « Vous verrez, l’augmentation des salaires, ce sera pour plus tard. » Mais là, les gens, ils vont juste se faire avoir.

Donc, ce qui est en train de se passer, c’est que potentiellement, vous allez mettre la clé sous la porte de ce gouvernement en laissant aux autres le soin de ranger à votre place le bazar pas possible que vous aurez laissé. C’est irresponsable et injuste.