Ce mercredi 25 mars, j’ai effectué une visite au centre fermé de Vottem afin d’y effectuer un contrôle de la situation, dans le cadre de la mission de contrôle parlementaire qui incombe aux membres de la Chambre des représentants, et en application du droit de visite parlementaire prévu par l’article 42 de l’Arrêté royal du 2 août 2002 sur le fonctionnement des centres fermés.

Cette visite faisait suite notamment aux événements suivants :

  • La suspension des visites par les ONG, de sorte que les membres de la Chambre et du Sénat restent à ce jour les seules personnes extérieures encore autorisées à entrer dans les centres pour en contrôler le fonctionnement ;
  • L’annonce de la découverte d’un cas suspecté de Covid-19 chez un détenu ayant des problèmes respiratoires, et l’absence de toute réponse à mes questions posées par téléphone à propos des mesures mises en place à l’échelle du centre.
  • Ma précédente visite du centre fermé de Vottem le 16 mars 2020, lors de laquelle j’avais notamment observé une promiscuité inquiétante des détenus, leur absence d’information quant aux mesures d’hygiène et de distanciation en lien avec le Covid-19, et l’état d’hygiène préoccupant des sanitaires.

Après avoir annoncé ma visite par téléphone, je me suis donc rendue au centre fermé de Vottem ce mercredi à 16h.

Accès au centre

En l’absence du Directeur du centre pour cause de maladie, j’ai été reçue le Directeur de la sécurité. Celui-ci m’annonce d’emblée qu’en raison de consignes données par l’Office des étrangers, il ne me sera pas permis de visiter le centre fermé. Il m’explique avoir reçu cette consigne lorsqu’il a contacté l’Office des étrangers suite à mon appel pour annoncer mon arrivée. Il ajoute que c’est très compliqué de faire respecter les règles de distanciation par les détenus, et qu’ils seraient encore moins en mesure de les faire respecter en ma présence.

Malgré le fait que j’avais prévu un équipement de protection (masques, gants, gel hydroalcoolique) – alors que les membres du personnel qui entrent et sortent du centre ne portent pas de protection – et que je m’engageais à respecter les mesures de distanciation sociale avec tous les détenus et les travailleurs, l’accès aux ailes de détention m’a été refusé.

Je n’ai donc pas pu voir les sanitaires (dont l’état d’hygiène était déjà très préoccupant lors de ma visite du 16 mars 2020), les dortoirs, l’espace de détente, la salle de sport, la salle informatique, le préau ni le réfectoire, et je n’ai pas pu poser des questions aux détenus, pas même à travers la grille.

Pourtant, l’article 42 de l’Arrêté royal du 2 août 2002 sur le fonctionnement des centres fermés prévoit bien que « les membres de la Chambre des Représentants et du Sénat ont toujours accès au centre de huit à dix-neuf heures, après qu’ils se soient clairement fait connaître en tant que tel » (je souligne).

Devant mon insistance, le Directeur de la sécurité du centre fermé me met en contact téléphonique avec la responsable pour les centres fermés à l’Office des étrangers, qui me lit un courriel émanant de sa hiérarchie, interdisant toutes les visites extérieures en centres fermés, ce qui selon elle inclut également les membres de la Chambre et du Sénat.

Ce refus d’accès est particulièrement inquiétant.

Il constitue d’abord une violation flagrante de l’Arrêté royal, qui ne prévoit aucune exception au droit de visite des parlementaires – contrairement aux visites d’ONG qui sont soumises à l’autorisation du Directeur et peuvent être suspendues dans certaines circonstances.

Par ailleurs, l’interdiction d’accès aux parlementaires, qui intervient après la suspension du droit de visite des ONG, a pour conséquence qu’à ce jour, plus aucun organe externe à l’Office des étrangers n’est à même d’exercer un contrôle sur les conditions de détentions et les conditions sanitaires à l’intérieur des centres.

Autant le Parlement que les juridictions qui ont pour mission le contrôle de la détention ne disposent donc d’aucune information sur la situation dans les centres, si ce n’est celles que l’Office des étrangers accepte de délivrer. Il n’y a plus aucun moyen de vérifier ces informations, ni d’obtenir les informations que l’Office refuse de donner.[1]

Une telle situation est sans précédent. L’Office des étrangers m’explique que ce type de restriction doit être accepté en temps de crise. Or, c’est justement en temps de crise que le contrôle parlementaire est le plus nécessaire, particulièrement quant à la situation des publics vulnérables que sont les personnes détenues dans les centres fermés.

Si l’Office des étrangers, à cause de la crise sanitaire, n’est plus en mesure de permettre au contrôle des lieux de détention de s’exercer conformément à la loi, il convient d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

Si la détention administrative ne peut plus être organisée par l’Office des étrangers de manière conforme à la loi belge et dans le respect des droits fondamentaux des personnes détenues, alors cette détention ne peut plus continuer, et les personnes doivent être libérées.

Compte-rendu de la visite et de l’entretien

J’ai donc uniquement pu visiter les bureaux et les parties du centre inaccessibles aux détenus. J’ ai pu parler uniquement à des travailleurs mais pas aux détenus.

J’ai quand même pu observer qu’aucune consignes d’hygiène n’était affichées concernant le Covid-19. Je n’ai pas eu accès à du gel ou à un évier pour me laver les mains. Personne ne me l’a proposé.

J’ai posé plusieurs questions pendant la visite. J’ai ensuite proposé que nous poursuivions avec un entretien en bonne et due forme afin d’obtenir des réponses aux questions ci-dessous. Voici les éléments que j’ai pu obtenir.

  • Nombre d’occupants et libérations

On me dit qu’il se trouve actuellement 48 détenus dans le centre, parmi lesquels :

  • 8 dans l’aile spéciale
  • 15 dans l’aile rouge
  • 12 dans l’aile jaune.

On me dit que le reste des détenus aurait été libéré sur base de l’avancement de leur dossier, des perspectives de rapatriement et du risque pour l’ordre public.

Mais j’apprends par la suite qu’il a été demandé au médecin du centre d’établir une liste des personnes vulnérables qui a été transmise à l’office et que des libérations ont eu lieu sur cette base. J’ai donc demandé pourquoi la personne souffrant de problèmes respiratoires n’a pas été libérée, sans obtenir de réponse.

Les personnes en attente de libération doivent avoir une solution de relogement avant d’être libérés, mais cela pose rarement un problème : famille, amis, … Tous ceux qui pouvaient être libéré ont trouvé une possibilité de logement.

On me dit que Fedasil était disposé à prendre en charge les personnes en cours de demande d’asile.

  • Adaptation du fonctionnement du centre

Un dispositif spécifique d’hébergement n’est pas prévu pour les détenus présentant une vulnérabilité accrue (diabète, asthme, âge avancé, dépendance à certains médicaments). En raison du secret médical, les travailleurs du centre n’ont pas accès aux dossiers médicaux, ils ne savent donc pas de quoi souffrent les détenus. Mais on me rappelle que les détenus vulnérables ont normalement été libérés (voir ci-dessus).

Lors des repas : des lignes de scotch ont été appliquées au sol devant l’endroit où les occupants viennent chercher leur repas afin de respecter une certaine distance dans la file. Le réfectoire est étendu sur une surface deux fois plus grande qu’à l’habitude. Des chaises sont placées sur les tables pour empêcher les occupants de s’asseoir par groupe. Ils mangent à 2 par table, mais je n’ai pas bien compris selon quelle disposition. Je n’ai donc pas pu voir le réfectoire ni évaluer la distance entre les occupants lors des repas.

Les visites médicales ont lieu selon la procédure habituelle : les infirmières passent tous les jours dans chaque aile à heure fixe. Les occupants sont informés qu’ils peuvent faire appel à elles s’ils ont un problème de santé. En fonction du problème le médecin passe par après.

Dans le service médical, le détenu qui est confiné pour raisons médicales voit des infirmières tous les jours. On me dit que le médecin est là tous les jours mais qu’il ne le voit pas forcément chaque jour.

Accès à internet maintenu de la manière habituelle, mais vu que moins de détenus sont présents ils sont espacés sur un ordinateur sur deux.

Sport : Usage d’un appareil sur deux qui serait nettoyé ensuite.

Téléphone : Aucune adaptation particulière. Comme c’était le cas avant, les GSM avec appareil photo continuent à être confisqués. Les détenus, qui ont un GSM sans appareil photo peuvent l’utiliser, ils peuvent aussi en acheter un à leur arrivée dans le centre. Ceux qui n’ont pas de GSM peuvent utiliser un GSM commun qu’ils se partagent.

Contrairement aux prisons, les détenus n’ont pas reçu de crédit téléphonique pour compenser la privation de visites. Le directeur de la sécurité m’a confirmé que ce n’était pas à l’ordre du jour.

Personnel : 6 personnes sont malades (contre une seule lors de ma visite de la semaine passée). Quand un membre du personnel est malade il est prié de rester chez lui et d’appeler son médecin. On me dit que les personnes à risque ou avec un membre de leur foyer à risque ne travaillent plus depuis le début des mesures de confinement, et que le personnel est actuellement assez nombreux pour faire fonctionner le centre mais on ne donne pas de chiffres exacts.

Chambres : Les occupants sont à un ou deux par chambre au lieu de 4. Les chambres sont aménagées en longueur, avec deux lits superposés installée l’un à la suite de l’autre.  Je n’ai pas pu observer les chambres ni la distance entre les lits.

Préaux : Les détenus continuent à pouvoir sortir 2 heures par jour de préau, une aile à la fois. Ils jouent surtout au football.

Transferts : Il n’y a pas eu de transfert depuis le début du confinement, et pas de nouveaux venus depuis le début du confinement, ni depuis les prisons, ni depuis d’autres centres « mais ça pourrait arriver, rien n’empêche ».

Usage de la contrainte : Aucune évaluation ni suivi spécifique ne sont prévus pendant et après les interventions nécessitant une proximité physique ou l’usage de la contrainte.

Droit à l’assistance des avocats : On me dit que les avocats ne viennent plus en personne pour le suivi des dossiers. Pas de dispositif spécifique prévu. Comme il n’y a pas eu de nouveau détenu, il n’y a pas eu de nouvelle demande d’aide au BAJ.

Vidéoconférence : Des entretiens par vidéoconférence avec le CGRA ou l’OE pourraient théoriquement avoir lieu mais il n’y en a pas eu depuis le 16 mars et aucun n’est programmé cette semaine. Pas d’usage de la vidéoconférence pour d’autres procédures.

Incidents ayant donné lieu à l’usage de la force : On me dit que c’est très calme, juste une embrouille entre deux détenus qui s’est vite calmée. (Pourtant, à mon arrivée, on m’expliquait que ma présence dans l’aile des détenus risquerait de provoquer des débordements).

Grèves de la faim : On me dit que les résidents continuent à prendre les repas, à part un seul cas de grève de la faim, qui aurait depuis recommencé à manger.

Quand j’évoque les grèves de la faim relatées dans la presse la semaine passée, mon interlocuteur admet qu’il y a eu beaucoup d’agitation dans le centre quand certains ont vu que les autres étaient libérés et pas eux, sans parler spécifiquement de grèves de la faim.

Pourtant, d’autres sources m’informent que le détenu actuellement en isolement médical était initialement en grève de la faim et refusait ses médicaments mais qu’il a finalement accepté de manger et de se soigner.

Police : Il n’y aurait pas eu de déploiement de la police à signaler.

Dispositifs mis en œuvre en cas de fièvre ou de symptômes liés au coronavirus chez les détenus :

On me signale donc un seul cas suspect, qui a été placé en isolement médical directement et s’y trouve actuellement. Important de souligner qu’il n’a pas été testé. Le centre ne dispose d’aucun test. Ils ont des masques et des combinaisons uniquement pour les infirmières qui s’occupent du cas suspect. On me dit que le personnel aurait des gants et du gel, mais selon mon observation ce matériel ne semble pas utilisé dans le centre en général.

Médecins : Comme d’habitude, il y a 3 médecins de garde qui se relayent. Si besoin, ils appellent les urgences. Il n’y a pas eu de visite de médecins extérieurs du centre à la demande de détenus. Ils ne savent pas comment ils réagiraient si une telle demande se posait. Ils disent compter sur le sens des responsabilités des médecins à qui il est tout de même recommandé de limiter les consultations physique autant que possible.

Conclusion

Lors de ma précédente visite du centre fermé de Vottem le 16 mars 2020, j’avais pu constater l’état lamentable des sanitaires (saleté, absence de papier toilette, de savon, détritus…) et l’absence de toute consigne d’hygiène affichée.

Aucune séance d’information n’avait été organisée et les détenus n’avaient reçu aucune recommandation spécifique. Les détenus à qui j’ai pu parler, et qui parlaient pourtant français, n’étaient tout simplement pas au courant des consignes d’hygiène de base (distance d’1 mètre minimum, lavage de main, ne pas se toucher le visage, …), qu’ils n’appliquaient donc pas avant ma venue.

À l’époque les détenus étaient encore à quatre par chambre. L’occupation du centre était proche de sa capacité maximale.

À ce jour, certains détenus sont encore deux par chambre, et vivent largement en commun. Rien n’indique que les conditions d’hygiène du centre se soient améliorées depuis le 16 mars.

Au contraire, le refus d’accès au centre fermé qui m’a été opposé me fait craindre que le centre fermé n’est pas en mesure de garantir le respect des consignes de l’OMS visant à ralentir la propagation de la pandémie du Covid-19.

[1] Régulièrement lors des visites parlementaires, après que les représentants du centre nous aient déclaré qu’aucun incident particulier récent n’est à relever, nous apprenons par les détenus qu’une tentative d’évasion ou de suicide vient d’avoir lieu, suite à quoi l’administration accepte finalement de répondre à nos questions sur ces événements.