Ma prise de parole sur le Projet de loi relatif à la majoration des décimes additionnels et à l’aggravation des amendes en cas d’infraction au Code pénal social commise avec un facteur aggravant (1094).

Monsieur le ministre, nous avons déjà discuté longuement de votre projet de loi.

J’ai insisté particulièrement sur un élément, à savoir l’angle mort en matière de lutte contre la fraude sociale. Soyons clairs, il faut combattre la fraude sociale. Ce sont des pratiques qui empêchent d’alimenter correctement les caisses de l’État, créant une injustice entre ceux qui respectent les règles et ceux qui ne les respectent pas. Il n’y a aucune ambiguïté à ce sujet pour nous. C’est important de la combattre, même si, toute proportion gardée, il faut quand même se souvenir que la lutte contre la fraude sociale rapporte beaucoup moins que la lutte contre la fraude fiscale

Il est important de déployer des moyens proportionnés aux enjeux qui se cachent derrière ces deux types de fraude.

Monsieur le ministre, cette politique de lutte contre la fraude sociale a un angle mort. Ce sont les personnes sans papiers qui travaillent dans des entreprises, dans le secteur de la construction, du nettoyage, de l’horeca, de l’agriculture, de l’aide à domicile. Bref, ce sont des invisibles qui font tourner la société et qui se retrouvent dans un certain nombre de cas à la merci d’employeurs peu scrupuleux. Ceux-là, monsieur le ministre, sont totalement absents de votre politique. Votre texte renforce les sanctions sans jamais renforcer la protection des travailleurs et des travailleuses qui sont derrière ces systèmes d’exploitation.

Vous durcissez la répression, mais vous laissez intacte la vulnérabilité de celles et ceux qui subissent des rapports de force totalement violents et pour lesquels aucune solution n’est apportée à ce jour.  Pourtant, il y a des métiers en pénurie dans lesquels ces personnes travaillent. Ce sont des métiers dans lesquels on a besoin de cette main-d’œuvre. Même lorsque des fédérations du patronat comme le Voka ou de petits entrepreneurs se mobilisent pour demander qu’un employé soit régularisé, parce qu’il travaille bien et qu’il a perdu son titre de séjour, vous êtes aveuglé par une course après l’extrême droite qui vous empêche de voir la nécessité de régulariser ces personnes qui sont de bonne volonté et qui ne demandent qu’une seule chose, contribuer à la société.

L’autre pierre d’achoppement de ce texte, c’est l’augmentation généralisée des décimes additionnels pour l’ensemble des infractions pénales. Cela me pose problème parce qu’elle s’applique de manière uniforme sans tenir compte du revenu des personnes concernées. Aujourd’hui, quand il y a une sanction pénale, j’estime que le but est quand même de corriger ce comportement ou en tout cas d’empêcher qu’il se produise ou qu’il se reproduise. Mais comment voulez-vous parvenir à atteindre cet objectif de rendre plus sûre la société – normalement, c’est à cela que sert le droit pénal – si certains ne le sentent même pas passer?

Quand vous gagnez, prenons un exemple au hasard, 25 000 euros par mois – soit le seuil à partir duquel les grands salaires sont exonérés de cotisations sociales –, vous ne sentez même pas l’impact d’une amende routière quand vous avez roulé à 172 km/h sur l’autoroute, tandis que d’autres personnes et d’autres profils vont se retrouver pris dans un engrenage qui va les tirer vers le fond, avec des huissiers. Nous avons encore vu récemment, à travers plusieurs enquêtes, combien certaines pratiques de recouvrement de dettes se révélaient violentes et entraînaient des personnes dans la spirale de la pauvreté.

Monsieur le ministre, des exemples étrangers pourraient parfaitement éclairer votre lanterne en ce domaine. Je regrette que, pendant nos discussions, vous ayez systématiquement fermé la porte à ce type de solution.

J’ai précisé qu’il était en effet essentiel de lutter contre la fraude sociale, mais qu’il fallait que cette lutte soit proportionnelle à la lutte contre la fraude fiscale, et que les moyens déployés soient proportionnels au montant à récupérer. Il faut mettre plus d’énergie, de manière proportionnelle aux montants qui sont perdus de cette manière-là pour le budget de l’État. C’est mon premier point.

Le deuxième, c’est que j’ai évoqué un principe de proportionnalité. Je pense qu’aujourd’hui, il faut se projeter dans un système qui prévoit des amendes qui soient proportionnelles aux revenus des personnes. Un tel système  existe déjà dans d’autres pays européens. Par exemple, la Finlande, dès 1921, a mis en place un système de jours-amende fondé sur l’idée qu’une sanction n’est juste que si elle produit un impact comparable pour chacun, quels que soient ses moyens financiers. Plutôt que d’imposer des montants fixes, les amendes sont liées aux revenus et plus largement à la situation financière de la personne condamnée. En outre, des systèmes de cet ordre-là existent notamment en Suède, au Danemark, en Allemagne, en Suisse, en Espagne ou en Estonie. Ce ne sont que quelques exemples.

Donc oui, je pense que si nous voulons atteindre les objectifs poursuivis d’augmenter la sécurité et de réduire les fraudes, il faut faire en sorte que le système soit réellement dissuasif pour toutes et tous, et pas uniquement pour ceux qui seront affectés le plus durement par ces amendes.

Par ailleurs, le principe de proportionnalité existe déjà dans notre droit belge. Le Conseil d’État l’a rappelé explicitement dans son avis sur ce texte. Il dit qu’une sanction doit être proportionnée non seulement à l’infraction commise mais aussi à la situation de la personne sanctionnée. En refusant de prendre en compte cet avis, vous décidez de vous asseoir sur la proportionnalité qui pourrait être mise en place dans notre Code pénal. Selon moi, il s’agit d’un élément légitime. Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas être envisagé en Belgique aussi.