L’espace numérique fait partie intégrante de l’espace public. Il n’y a aucune raison qu’il échappe aux réglementations et à la notion de consentement. Chacune et chacun devrait s’y sentir libre et en sécurité. Pourtant, la violence sexuelle en ligne est bien réelle et peut causer des dégats terribles, menant même certains jeunes au suicide. Les jeunes générations sont particulièrement confrontées à ce phénomène : en rentrant de l’école ou de l’université, le harcèlement se perpétue souvent sur Internet. Des images intimes de vous peuvent être détenues et diffusées sans votre consentement. J’ai donc décidé de commander une étude pour avoir un aperçu objectif de cette situation et définir des pistes d’action

L’étude démontre clairement que les jeunes sont régulièrement confrontés à la réception non consentie d’images sexuellement explicites, en particulier les filles et les femmes, les jeunes de 15 à 18 ans et les populations LGB+ (lesbiennes, gays, bisexuelles, etc.). Dès l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, cette pratique sera punissable par la loi.

Le Safer Internet Day a été lancé en 2004. Avec l’augmentation de la numérisation de notre société, cette journée d’action est devenue un rendez-vous majeur dans le calendrier de toutes les personnes et organisations engagées dans l’amélioration de la sécurité et du bien-être sur Internet, notamment pour les enfants et les jeunes.

C’est dans cette optique que cette étude a été commandée. 1819 jeunes de 15 à 25 ans qui ont toujours vécu avec Internet ont été interrogés. Le genre et la langue maternelle des jeunes interrogés reflètent cette tranche d’âge de la population belge. Cette étude a été réalisée sous la direction de Catherine van De Heyning et Michel Walrave de l’Université d’Anvers en collaboration avec l’IEFH.

Objectifs de l’étude:

  • connaître la fréquence à laquelle ces jeunes reçoivent des images non désirées à caractère sexuel et la fréquence à laquelle ils détiennent des images à caractère sexuel sans le consentement des personnes qui y figurent
  • examiner l’influence de l’âge, du genre et de l’orientation sexuelle dans le fait d’être auteur ou victime de la réception, de l’envoi ou de la détention d’images non-consenties à caractère sexuelle
  • compléter et analyser les chiffres à la lumière de la littérature existante
  • cartographier les sanctions liées aux violences sexuelles en ligne et comment elles sont perçues par les jeunes interrogés

 

1ère partie de l’étude : la réception de “dick pics” [1]

L’étude indique que les jeunes interrogés reçoivent très régulièrement des contenus sexuels en ligne. Il s’agit principalement d’images de pénis. 37 % des jeunes ont déjà reçu une “dick pic”.

Ce pourcentage est nettement plus élevé chez les filles. Plus de la moitié, 51 % d’entre elles, a déclaré avoir déjà reçu une “dick pic” (contre 23% des garçons). 62% d’entre elles sans y avoir consenti.

Les répondants ne s’identifiant pas comme hétérosexuels (homosexuels, bisexuels etc.) sont 60% à avoir déjà reçu des images à caractère sexuel, contre 35% des jeunes interrogés s’identifiant comme hétérosexuels.

17% du total des jeunes n’ont pas demandé à recevoir ce type d’image. Par conséquent, un jeune sur 5 interrogé a déjà reçu une “dick pic” sans y avoir consenti (37% – 17% = 20%). En outre, 34 % des répondants ayant reçu ce type d’image avaient entre 15 et 20 ans.

La majorité des répondants à indiqué être “embarrassée”, “en colère” voire “furieuse” à la réception de ce type d’images non consentie, les femmes davantage que les hommes. Les hommes victimes se sentent également plus coupables et plus seuls que les femmes victimes après avoir reçu une “dick pick” non sollicitée.

Près de la moitié des jeunes ayant reçu ce type d’images, l’ont reçue d’une personne inconnue. C’est encore plus souvent le cas pour les répondantes féminines. Ces images proviennent régulièrement de personnes avec qui les jeunes sont en contact par le biais des médias sociaux mais pas dans le monde extérieur. Les jeunes hommes sont plus susceptibles d’identifier l’expéditeur de la “dick pic” dans le monde hors ligne, notamment un professeur, un entraîneur de sport, un membre de la famille, un patron ou un collègue de travail. 10 % du nombre total de répondants ont indiqué que l’expéditeur de la photo non désirée à caractère sexuelle avait au moins 3 ans de plus qu’eux. Fait remarquable : cette
situation est 3 fois plus fréquente chez les femmes (15 % d’entre elles contre 5% d’entre eux).

Lorsque des jeunes envoient ce type d’images, ils ou elles le font principalement pour obtenir des images à caractère sexuel en retour et pour “séduire” le destinataire. Mais une proportion importante des répondants avoue avoir une intention malveillante en envoyant ce type d’images : 23% ont déclaré l’avoir fait dans le but de harceler ou d’intimider le ou la destinataire.

Condamnation

La majorité des personnes interrogées pensent qu’envoyer une “dick pic’” sans consentement devrait être punissable (entre 68% et 79% des personnes interrogées selon les scénarios utilisés par l’étude) mais ont du mal à évaluer si c’est effectivement le cas en droit belge.

Bonne nouvelle, ce sera en effet le cas dès l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal.

Les sondés sont favorables aux peines alternatives. Ils pensent qu’un cours en ligne sur la violence sexuelle, la médiation et une indemnisation sont les bons moyens de donner suite à l’envoi de “dick pics”.

2ème partie de l’étude : la détention d’image à caractère sexuel sans le consentement de la personne représentée

C’est la première fois en Europe qu’une telle étude sur la possession d’images à caractère sexuel est réalisée.

21% des jeunes hommes et seulement 9% des jeunes femmes déclarent connaître quelqu’un qui est en possession d’images d’eux nus. Mais il semblerait que ce chiffre soit largement sous-évalué. En effet, beaucoup de jeunes ne sont pas au courant du fait que quelqu’un détient des images d’eux de ce type, notamment parce qu’il n’y ont pas consenti. Ainsi 7% des garçons et 4% des filles déclarent ne pas savoir si quelqu’un possède des photos d’eux à caractère sexuel. Il semblerait également que les filles aient tendance à sous-déclaré ce phénomène lors de l’enquête, à cause de la pression sociale.

D’une manière générale, 61% des jeunes interrogés disent ne jamais garder ce type de photos si on leur demande de les supprimer, mais les filles / femmes sont nettement plus susceptibles de déclarer qu’elles ne conservent jamais ces images.

À l’inverse, pratiquement tous les répondants qui ont indiqué posséder des images d’autrui nu ou nue étaient des hommes, les répondants plus âgés d’autant plus.

Comment se procurent-t-ils ces images?

30% ont répondu que ces images avaient été sauvegardées dans leur téléphone ou leur ordinateur par une capture d’écran prise à partir d’un cliché temporaire. Cela semble être la façon la plus courante de se retrouver en possession d’une image à caractère sexuel sans permission. 29% ont indiqué avoir eu la permission de garder cette photo, avant que ce consentement ne soit retiré. 23% déclarent avoir fait une capture d’écran lors d’un appel vidéo.

Il y a une nette différence dans les réponses des hommes et des femmes. Plus du double des femmes interrogées ont indiqué qu’elles avaient demandé de supprimer une photo les représentant et que cette demande n’avait pas été respectée.

Par ailleurs, 13% des répondants possèdent ce type d’images par le biais du “darkweb” ou les ont achetées à un tiers.

3⁄4 des digitals natives interrogés étaient d’accord pour affirmer que posséder des images sexuelles de quelqu’un qui ne souhaite plus que vous les déteniez (73%) ou qui ne vous a jamais autorisé à les détenir (74%) doit être poursuivi. Plus de 60% pensent que la possession est déjà punissable et plus de 70% pensent que ce comportement devrait être puni.

L’étude montre que davantage de jeunes considèrent que la possession non consentie d’images à caractère sexuel doit être punie que l’envoie de “dickpicks” sans consentement.

Les résultats de cette étude sont édifiants et nous démontrent que les jeunes sont très rapidement confrontés à des phénomènes de violences sexuelles et que le genre et l’orientation sexuelle ont une importante influence sur le fait d’être victime ou auteur. Cela nous rappelle, nous seulement qu’il faut aborder très tôt ces sujets, comme le propose l’EVRAS, mais aussi qu’une législation claire doit être adoptée. Je souhaite avancer dans ce sens, en interdisant clairement la possession de ce type d’images. Cela existe déjà pour les images des mineurs, nous devons l’élargir aux majeurs.


[1] Une dick pic, de « pic », abréviation de « picture », qui veut dire « image » en anglais et de « dick», mot anglais vulgaire pour désigner le pénis, est une photo de pénis, la plupart du temps en érection, qui est envoyée via internet. Par extension, ce terme désigne ici toute photo à caractère sexuel.

Lien vers l’étude : https://sarahschlitz.be/wp-content/uploads/sites/300/2023/03/Etudes-sur-les-violences-sexuelles-en-ligne-en-Belgique.pdf